Les chiffres parlent d’eux-mêmes: depuis le début des années 2000, deux tiers des Grands Tours sont partis de l’étranger. Ce n’est pas une statistique anodine bien évidemment et 2018 va marquer un tournant dans la course à l’exportation des Grands Tours: en effet, le Tout d’Italie va s’élancer de Jérusalem, en Israël, une première hors d’Europe.
Le cyclisme se mondialise à vitesse grand V
Cela n’est plus un secret de polichinelle; le cyclisme s’exporte bien ces dernières années et touche des pays qui, de base, n’avaient pas une culture cycliste. On pense bien évidemment à l’Angleterre qui a accueilli le grand départ du Tour de France à deux reprises – en 2007 (Londres) et en 2014 (Leeds) – et qui s’est parfaitement appuyée sur les récentes performances de ses ressortissants pour développer le cyclisme sur route, là où le football, le rugby et le cricket étaient rois. En soi, le Tour de France est désormais un événement incontournable outre-Manche pendant lequel le pays de Sa Majesté suit avec attention les aventures de Christopher Froome et du Team Sky.
Le cyclisme sur piste n’est plus seul maître des sports cyclistes en Angleterre. La Scandinavie, terre des sports d’hiver, a reçu avec une ferveur immense les derniers championnats du monde de cyclisme sur route, en Norvège, à Bergen, qui se sont terminés par le triplé retentissant de Peter Sagan. La Scandinavie avait accueilli pour la première fois le grand départ d’un Grand Tour en 2012, c’était à Herning au Danemark pour le Giro. Ce sont donc des exemples parmi d’autres qui montrent que le cyclisme se mondialise et ne concerne plus une branche restreinte de pays. Mais alors que ce sport était souvent cantonné à l’Europe et ses grandes courses, il s’est développé avec une vitesse remarquable hors du Vieux Continent depuis le début des années 2000. Depuis 2000 justement, il y a eu autant de championnats du monde de cyclisme sur route hors d’Europe qu’entre leur création en 1922 et 2000. Cette statistique est directement en lien avec le nombre croissant de départs à l’étranger des Grands Tours.
Le Tour de France et le Giro aiment s’exporter, pas la Vuelta
2009 et 2010 avaient vu un nombre record de quatre départs consécutifs à l’étranger pour les Grands Tours: le Tour 2009 à Monaco, la Vuelta 2009 à Assen, le Giro 2010 à Amsterdam et le Tour 2010 à Rotterdam (villes situées toutes trois aux Pays-Bas). Malgré un départ depuis Nîmes en 2017 pour la Vuelta, on aura assisté à seulement trois départs consécutifs à l’étranger en 2017 et 2018. Et l’année 2018 réserve une immense surprise avec le premier grand départ en dehors d’Europe: le Giro d’Italia 2018, 101e du nom, s’élancera en effet de Jérusalem, en Israël, un pari osé d’autant plus qu’il s’achèvera au Vatican, hors d’Italie. C’est la première fois également qu’un Grand Tour aura un départ et une arrivée hors de ses terres officielles. Le Giro est désormais friand de ces départs à l’étranger puisqu’il en a effectué douze au total dont la moitié après 2000. Jérusalem est exotique dans le fait qu’elle est hors d’Europe, mais déjà en 2004, le Giro avait frappé fort en s’élançant depuis Athènes. Le Tour de France, lui, a lancé la mode à Amsterdam en 1954, une destination symbolique lorsque l’on sait maintenant que les Pays-Bas ont accueilli le plus grand nombre de grands départs (6) de la Grande Boucle devant la Belgique et l’Allemagne (4). Avec 22 grands départs à l’étranger, le dernier à Düsseldorf il y a quelques mois, le prochain à Bruxelles en 2019, le Tour de France est un pionnier dans le domaine. Seule la Vuelta est en marge du processus avec trois petits départs à l’étranger seulement: en 1997 à Lisbonne, en 2009 à Assen et cette année à Nîmes. Sinon, le Tour d’Espagne a toujours mis en avant ses propres espaces plutôt que des départs à l’étranger.
Quels intérêts de partir de l’étranger ?
Soyons utopistes d’abord et mettons en avant le fait que les départs à l’étranger permettent à des pays qui n’en ont pas forcément l’habitude d’accueillir de grands événements cyclistes. Même les Pays-Bas, terres de vélo par excellence, n’ont finalement que l’Amstel Gold Race comme grand événement chaque année. Les Grands Tours usent ainsi de leur influence pour développer le cyclisme. Ici, non pas l’exemple des Pays-Bas mais celui de la Grande-Bretagne, du Portugal ou encore du Danemark. Néanmoins, nous ne pouvons pas nier que les principales raisons sont économiques. En effet, ce sont souvent les grandes villes étrangères qui parviennent à amasser les fonds nécessaires à l’organisation d’un grand départ, qui serait selon certains dires d’une hauteur de quatre millions d’euros. Les communes, métropoles ou encore régions françaises n’arrivent souvent pas à récolter une telle somme. Le maire de Grenoble, l’écologiste Eric Piolle, avait d’ailleurs indiqué en 2014, dernier passage du Tour dans la ville, que Grenoble ne paierait plus pour accueillir la Petite Reine.
Inversement tout de même, pour la ville qui accueille un grand départ, l’addition peut être élevée mais pas tant que ça si l’on prend en considération les recettes engrangées grâce à un tel événement. Pour une ville qui accueille le grand départ d’un Grand Tour et qui n’est pas forcément bien connue, comme Assen, Apeldoorn (Giro 2016) ou bien Herning, l’impact médiatique et visuel sur la ville est un facteur bénéfique qui rend au final l’investissement avantageux sur le long terme au niveau touristique. Les deux parties ont donc à y gagner: l’organisateur du Grand Tour et la ville qui accueille. Jérusalem n’est ainsi que le début d’un processus qui va emmener le peloton des tours de trois semaines encore plus loin. La ville sainte n’est que la porte d’entrée vers l’Est. Ce n’est pas pour rien qu’ASO organise fin octobre et début novembre deux critériums à Shanghai (depuis cette saison) et à Saitama (depuis 2013) avec une véritable campagne promotionnelle. Le but est bien évidemment à terme d’exporter la marque Tour de France, un Tour dont on évoque un départ probable depuis le Qatar dans les prochaines années tandis que le Giro est happé par les sirènes japonaises. Quoi qu’il en soit, nul doute que l’Asie ou les émirats arabes verront dans les dix prochaines années le départ d’un Grand Tour.
Crédits photo à la une: GIRODITALIA.IT