Il est l’un des coureurs historiques du Tour de France avec quatre victoires dont trois consécutives en 2015, 2016 et 2017. Et pourtant, sur les routes de France, il semble que le Britannique du Team Sky ne soit que très peu apprécié. En effet, une grande partie des suiveurs de la Grande Boucle prend un malin plaisir à détester un champion qui fait pourtant tout pour être aimé. Alors, pourquoi Christopher Froome n’arrive-t-il pas à entrer dans le cœur des Français ?
Chris Froome tente, en vain
Samedi 22 juillet, aux alentours de 17h. Christopher Froome, maillot jaune sur les épaules, s’élance pour le contre-la-montre de Marseille sous la bronca du Vélodrome. Elle est impressionnante, plus encore que les sifflets dans les cols, car elle profite de la résonance d’un stade. La polémique est née, elle crée deux camps: ceux qui soutiennent le britannique et ceux qui le lynchent. Et pourtant, rien ne prédestine le leader du Team Sky à un tel traitement qui n’est pour certains que le fruit d’une lassitude du public suite à sa domination sans partage sur la Grande Boucle. Le malaise n’est pas aussi simple à expliquer. Et il est surtout difficile à comprendre tant le comportement de Froome, son attitude, semble irréprochable. Le Kenyan blanc ne désespère pas, apprend le français, apparaît toujours souriant, fait preuve d’un fair-play à toute épreuve, dit même « comprendre les sifflets ». Pour lui, ceux-ci sont normaux car le public soutient le coureur national, Romain Bardet, qui n’a pas hésité à défendre son adversaire britannique. Et le malaise est bien-là, dans ce cas précis où le leader d’AG2R-La Mondiale doit désavouer le comportement de ses supporters pour défendre son concurrent. Car dans le cyclisme comme dans d’autres sports, il y a des règles particulières à respecter par les coureurs comme par les spectateurs. Et peut-être pouvons-nous trouver ici une raison des rapports difficiles entre Froome et le public français: la culture cycliste.
Une différence de culture ?
La France n’aurait-elle tout simplement pas la même culture cycliste que d’autres pays ? Dans cette question volontairement provocatrice, il ne faut pas y voir une critique qui voudrait que la France n’y connait rien en cyclisme. Il suffit de regarder le passé mais également les espoirs futurs pour comprendre que la France a un rapport très fort et affectif avec ce sport. Mais en comparant avec la Belgique ou les Pays-Bas ce rapport n’est pas le même. Au sortir du Tour, dans l’un des traditionnels critériums post-Grande Boucle, Christopher Froome était en Belgique, à Alost. Et il a eu cette réponse un peu particulière qui pourrait résoudre le problème à elle seule: « La Belgique est peut-être le pays le plus dingue de cyclisme. C’est pour ça que j’aime courir ici. Ici, tout le monde m’encourage. C’était un peu différent en France. » S’il a encore une fois déclaré comprendre les sifflets du public du fait de la présence sur le podium de Romain Bardet, qui apporte un espoir de victoire sur le Tour qui n’a jamais été aussi important depuis le dernier sacre de Bernard Hinault en 1985, on sent dans ses phrases un sentiment d’inachevé, comme si Froome savait pertinemment que, durant toute la fin de sa carrière, il ne prendrait plus aucun plaisir sur les routes d’une course qu’il aime tant: le Tour de France, la reine des courses.
Et c’est peut-être le départ d’une nouvelle question, d’un nouveau débat: que serait la France du cyclisme sans la Grande Boucle ? Bien sûr, ne réduisons pas cette France du cyclisme à ce grand tour mythique mais il est vrai que sans lui, notre pays ne serait pas le même dans le paysage cycliste en dépit d’un nombre de jours de course WorldTour qui serait toujours important. Hélas, on distingue différentes catégories dans les suiveurs de la Grande Boucle. Et parmi eux, les suiveurs de trois semaines, qui ne regardent jamais une course cycliste en dehors des 21 étapes du Tour de France et qui pourtant ont un avis tranché. Ce sont souvent eux les détracteurs du Britannique, ce sont souvent eux qui oublient que chaque année, celui qu’ils lapident atteint un pic de forme en juillet après une préparation millimétrée, ce sont souvent eux également qui ne prennent que trop peu en compte la qualité des grimpeurs du Team Sky, découvrant Mikel Landa seulement en 2017, et ce sont eux que nous ne voyons déjà plus fin août-début septembre sur la Vuelta où Froome régresse logiquement dans sa forme physique. Il faut dire que ces suiveurs de trois semaines ne voient que Froome dans leur vie de « passionnés », car depuis 2012, ils le voient dominer le Tour de France avec son équipe – sauf en 2014 où il avait abandonné dès la cinquième étape. Et c’est alors que ses détracteurs ressortent des dossiers sur un coureur qu’ils aiment tant détester comme celui du Giro d’Italia 2010 où Froome fut disqualifié après la 19e étape pour s’être agrippé à une moto lors d’une ascension finale. Ils se demandent alors comment Froome a pu devenir l’un des meilleurs grimpeurs du monde, sans prendre en considération le rapport poids/puissance… Et si le Britannique possède des détracteurs dans le monde entier, c’est en France que l’on ressent le plus d’amertume car les Français ont une affection particulière pour le Tour de France qui est « leur » course et qu’ils ne voudraient pas voir une nouvelle fois volée après le règne d’un Armstrong depuis déchu.
Froome pâtit d’un héritage difficile
Il est bien ici le gros souci du cyclisme: en plus de combattre le dopage, ce sport doit se défaire de l’image qui lui est attribué. « Un sport de camé », selon Maurice Szafran, intervenu sur le plateau de CNews le 10 juillet dernier. « On ne peut pas faire du cyclisme de haut niveau sans se doper », dixit Alain Souchon. Une sortie qui avait provoqué la colère de Marc Madiot et Jean-René Bernaudeau. On peut trouver de nombreuses déclarations comme celles-ci, preuves d’une certaine fatalité qui voudrait que le cyclisme est impossible à sauver, preuve aussi d’une certaine ignorance envers les progrès réalisés dans la lutte antidopage ces dernières années. Et forcément, après le trou noir des années 1990 et 2000 dont l’apogée fut les sept sacres, invalidés, de Lance Armstrong sur le Tour de France, il est devenu impossible pour un coureur de gagner sans suspicions. Ainsi, dans le monde actuel du cyclisme, il n’est pas bon de gagner quatre fois la Grande Boucle et Froome en fait les frais au prix d’une justice étrange qui consiste à placer les spectateurs en juges: ce sont eux qui décident si le Britannique est dopé ou non, ce sont eux également qui décident de le siffler comme ce fut le cas à Marseille et dans le col de Peyra Taillade lors de la 16e étape… Destin tragique pour un sport et des coureurs condamnés dès le départ.
Les sifflets, un phénomène omnisport ?
Froome dit comprendre les sifflets du public français. En même temps, on dira également qu’il est préférable de ne pas jeter de l’huile sur le feu. Il n’empêche qu’il est plus courant de voir des encouragements sur les bords des routes que des insultes ou des huées. Et le triple tenant du titre du Tour le sait bien: en cyclisme, on ne siffle pas les coureurs. Il suffit de remonter un an en arrière pour voir une polémique qui va nous permettre de comparer le cyclisme avec un autre sport; l’athlétisme. 15 août 2016, Rio, finale du saut à la perche. Après avoir vu Thiago Braz réussir son saut à 6,03 mètres, Renaud Lavillenie s’élance pour son dernier saut, sifflé par une partie du public brésilien. Une attitude qui ne passe pas pour le Français. Il n’est vraiment pas habituel en effet d’entendre des huées en athlétisme. Finalement, tout semble être une question de différence entre collectif et individuel. Les sports ne peuvent ainsi pas être égaux devant les sifflets. Lorsque, en football notamment, des sifflets descendent des tribunes, ils sont en général destinés à une équipe, rarement à un joueur. Et si un joueur est sifflé, c’est surtout parce qu’il appartient à une certaine équipe. Ainsi, l’individu n’est pas seul devant la bronca, il a une équipe, un collectif pour le soutenir. En athlétisme, c’est différent car l’homme est seul: en cas de sifflets, le combat voit un public nombreux affronter un individu isolé. En cyclisme, c’est particulier car c’est un sport à la fois collectif et individuel mais les huées étaient, sur le dernier Tour, bien destinées à un seul homme; Christopher Froome. Il apparaît bien dommageable de voir un sportif se battre avec soi-même ou avec sa machine et se faire siffler, surtout pour une raison qui n’en est pas une.
Crédits photo à la une: PXHERE.com