Pays de naissance du hockey sur glace et du basketball, le Canada a fourni de grands champions sportifs tels que Steve Nash en NBA, Wayne Gretzky en NHL ou Jacques Villeneuve en F1. En revanche, excepté Daniel Nestor, les Canadiens n’ont pas vraiment marqué l’histoire du tennis. Ainsi, lorsque Milos Raonic obtient ses premiers résultats sur le circuit ATP en 2011, le grand public ne s’imagine pas que le tennis canadien est en pleine ascension. Pourtant, dans le sillage de l’Ontarien, Eugénie Bouchard, Denis Shapovalov, Bianca Andreescu et Félix Auger-Aliassime ont fait des débuts professionnels fracassants. Comment cette génération dorée est-elle née ? Pourquoi le drapeau à la feuille d’érable risque-t-il d’envahir les stades ces prochaines années ? Retour sur la montée en puissance du tennis canadien.
Une ascension pensée et orchestrée par le Français Louis Borfiga
Les résultats actuels du tennis canadien ne sont pas dus au hasard. Ils sont le fruit d’un véritable travail de fond. En 2006, pour améliorer son système de formation, Tennis Canada nomme Louis Borfiga au poste de vice-président du développement de l’élite. Voyant les choses à long terme, le formateur français arrive avec une idée précise : changer l’état d’esprit et inculquer une mentalité de vainqueur. En s’appuyant sur son expérience à l’INSEP, il souhaite regrouper les meilleurs jeunes Canadiens pour suivre correctement leur développement. Il lance alors la construction d’un Centre National du Tennis (CNT) à Montréal.
Le CNT ouvre officiellement ses portes en septembre 2007. Pour l’alimenter, trois centres régionaux sont créés à Toronto (2007), Vancouver (2010) et Calgary (2017). Au niveau des infrastructures, Louis Borfiga demande la construction de quatre courts en terre battue, à côté des nombreux terrains sur dur. En effet, il considère que cette surface, propice aux longs échanges, est parfaite pour travailler la patience, la tactique et le physique. Concrètement, il veut former des joueurs intelligents dans la gestion de leurs matchs.
La méthode Borfiga ne s’arrête pas là. Le formateur français estime que pour percer en professionnel, il est nécessaire de développer une excellente technique très jeune. Dans cette optique, il décide de s’entourer des meilleurs éducateurs canadiens, mais également d’entraîneurs français d’expérience. Sur le circuit ATP, Félix Auger-Aliassime est notamment accompagné par Guillaume Marx et Frédéric Fontang. Chez les filles, Eugénie Bouchard et Bianca Andreescu ont suivi les enseignements de Nathalie Tauziat. C’est cette organisation pointue qui a permis aux jeunes Canadiens d’exploiter leur potentiel.
Une première génération pour crédibiliser le tennis canadien
À l’Open d’Australie 2011, le monde du tennis découvre un jeune Canadien de 20 ans au service dévastateur. Sorti des qualifications, Milos Raonic fait forte impression en atteignant les huitièmes de finale. Au troisième tour, il s’offre même une victoire de prestige face au russe Mikhail Youzhny, 10e joueur mondial (6-4, 7-5, 4-6, 6-4). Deux semaines après ses exploits australiens, Raonic remporte son premier tournoi ATP à San José, puis enchaîne avec une finale à Memphis. Pratiquement inconnu en début de saison, le Canadien devient alors un joueur redouté. En décembre, il est primé « Révélation de l’année » par l’ATP.
En 2012, alors que Milos Raonic poursuit son ascension, deux nouveaux prodiges canadiens font sensation en juniors. Chez les garçons, Filip Peliwo dispute les quatre finales de Grand Chelem. Son bilan est très bon puisqu’il soulève le trophée à Wimbledon et à l’US Open. Chez les filles, Eugénie Bouchard impressionne en remportant Wimbledon en simple et en double. Si Peliwo peine à confirmer ses résultats, Bouchard connaît une progression fulgurante en 2013. Bien installée dans le top 50 mondial, elle reçoit le prix de « Révélation de l’année » par la WTA.
Cette même saison, parallèlement à l’évolution d’Eugénie Bouchard, Milos Raonic dispute sa première finale de Masters 1000 à Montréal. Malgré une défaite contre Rafael Nadal (6-2, 6-2), son beau parcours à domicile lui permet de faire une apparition dans le top 10 mondial. Il devient alors le premier Canadien et le premier joueur né dans les années 90 à réaliser cette performance. Avec en prime une demi-finale de Coupe Davis, le Canada commence à récolter le fruit de son travail.
Eugénie Bouchard et Milos Raonic au plus près des étoiles
En 2014, Eugénie Bouchard démarre la saison sur les chapeaux de roues. Demi-finaliste à l’Open d’Australie, la jeune Québécoise remporte son premier tournoi WTA à Nuremberg, puis confirme son exploit de Melbourne en atteignant le dernier carré à Roland-Garros. Après son début d’année exceptionnel, Bouchard arrive en pleine confiance à Wimbledon. Sur le gazon londonien, elle devient à 20 ans la première Canadienne à disputer une finale de Grand Chelem en simple dames. Malheureusement, son rêve de victoire s’envole après une défaite sèche face à Petra Kvitová (6-3, 6-0).
Durant ce Wimbledon, Eugénie Bouchard n’est pas la seule à se mettre en lumière. Milos Raonic atteint à son tour les demi-finales d’un majeur pour la première fois de sa carrière. En fin de saison, les deux prodiges du tennis canadien se classent dans le top 8 mondial et se qualifient pour le Masters. En 2015, le Canada doit se contenter de trois quarts de finale en Grand Chelem : Milos Raonic et Eugénie Bouchard à l’Open d’Australie, ainsi que Vasek Pospisil à Wimbledon. L’année 2016 est en revanche plus intéressante puisque Milos Raonic passe à la vitesse supérieure.
Demi-finaliste à l’Open d’Australie, le géant canadien récidive à Wimbledon. Cette fois-ci, il se qualifie pour la finale en réussissant l’exploit d’éliminer Roger Federer dans son jardin (6-3, 6-7, 4-6, 7-5, 6-3). Malheureusement, battu par Andy Murray (6-4, 7-6, 7-6), Milos Raonic ne soulève pas le trophée. Sa régularité lui permet cependant de finir la saison numéro 3 mondial. Alors que l’Ontarien est au plus haut, deux autres prodiges canadiens commencent à impressionner chez les juniors en 2016. Denis Shapovalov, 17 ans, s’impose à Wimbledon, tandis que Félix Auger-Aliassime, 16 ans, remporte l’US Open. Ensemble, ils avaient déjà gagné le double garçons à l’US Open 2015.
Encore plus de talent avec l’éclosion de Denis Shapovalov
Le 11 août 2017, en huitième de finale du Masters 1000 de Montréal, Rafael Nadal affronte le 143e joueur mondial. Peu d’adversaires avec un tel classement ont réussi à surprendre le Majorquin dans sa carrière. Mais voilà, tombeur de Juan Martin Del Potro au tour précédent, Denis Shapovalov arrive en pleine confiance. À domicile, le Canadien de 18 ans enflamme le match pour accomplir un exploit retentissant : s’offrir le scalp du numéro 2 mondial (3-6, 6-4, 7-6). Si Shapovalov ne gagne pas le tournoi, il devient néanmoins le plus jeune joueur de l’histoire à disputer les demi-finales d’un Masters 1000.
Désormais dans le top 100 mondial, le Canadien poursuit son ascension en atteignant les huitièmes de finale de l’US Open 2017. Grâce à ses performances, il obtient le prix de « Révélation de l’année » par l’ATP. En mai 2018, Shapovalov récidive en Masters 1000. Il se qualifie pour les demi-finales du tournoi de Madrid, en éliminant notamment Milos Raonic. Cette victoire contre son compatriote ressemble à un passage de témoin. En effet, une semaine plus tard, Shapovalov dépasse Raonic au classement ATP et devient numéro 1 canadien pour la première fois de sa carrière.
Au premier tour de l’US Open 2018, même si Raonic a récupéré sa place de leader du tennis canadien, il n’est pas l’attraction principale dans son pays. Tous les regards sont portés sur une autre affiche : Denis Shapovalov contre Félix Auger-Aliassime. Le choc des prodiges canadiens s’annonce passionnant, mais malheureusement Auger-Aliassime est contraint à l’abandon en plein match. Ce rendez-vous gâché n’est que partie remise.
Tout s’accélère avec Félix Auger-Aliassime et Bianca Andreescu
Début 2019, finaliste du tournoi de Rio de Janeiro, Félix Auger-Aliassime intègre le top 100 mondial. Il devient ainsi le premier tennisman né dans les années 2000 à réaliser cette performance. Quart de finaliste à São Paulo la semaine suivante, le jeune Québécois rentre de son séjour brésilien en ayant marqué les esprits. Un mois plus tard, Auger-Aliassime impressionne en atteignant à 18 ans les demi-finales du Masters 1000 de Miami. Le tennis canadien est alors à la fête puisque Denis Shapovalov réalise exactement la même performance.
En mai, les deux prodiges s’affrontent dès le premier tour du Masters 1000 de Madrid. Auger-Aliassime s’impose face à son aîné (6-2, 7-6), mais s’incline ensuite contre Rafael Nadal (6-3, 6-3). Deux semaines plus tard, il dépasse néanmoins Shapovalov au classement ATP en étant finaliste du tournoi de Lyon. Au Masters 1000 de Montréal, Félix Auger-Aliassime se retrouve opposé à plusieurs de ses compatriotes. Il s’impose difficilement contre Vasek Pospisil avant de gagner par abandon face à Milos Raonic. Le Québécois est éliminé au tour suivant, mais il s’empare tout de même du rang de numéro 1 canadien.
En parallèle de la progression d’Auger-Aliassime, une jeune Canadienne se révèle chez les femmes. En janvier, classée au-delà de la 100e place mondiale, Bianca Andreescu atteint la finale du tournoi d’Auckland puis remporte son premier titre WTA à Newport Beach. Elle reçoit alors une invitation pour le tournoi d’Indian Wells. En Californie, la Canadienne élimine quatre joueuses du top 20 pour ouvrir son palmarès en Premier Mandatory. À 18 ans, elle devient ainsi la plus jeune tenniswoman à triompher dans cette catégorie de tournois. Durant l’été, Andreescu décroche un nouveau titre important en gagnant l’Open du Canada. Son bilan en carrière est alors impressionnant contre les membres du top 10 : sept victoires pour zéro défaite.
Le Canada officiellement à la conquête du tennis mondial
Au premier tour de l’US Open 2019, Félix Auger-Aliassime et Denis Shapovalov sont opposés pour un remake du match de 2018. Cette fois-ci, la victoire de Shapovalov est nette et sans bavure (6-1, 6,1, 6-4). Cependant, le Canadien doit s’incliner dès le troisième tour après un combat spectaculaire contre Gaël Monfils (6-7, 7-6, 6-4, 6-7, 6-3). En parallèle, sa compatriote Bianca Andreescu impressionne en se qualifiant pour sa première finale de Grand Chelem. Sans complexe, la jeune joueuse s’impose alors en deux sets (6-3, 7-5) face à Serena Williams pourtant en quête d’un 24e majeur.
En offrant au Canada son premier titre du Grand Chelem en simple, Bianca Andreescu a écrit la plus belle ligne de l’histoire tennistique de son pays. Ses exploits en 2019 lui permettent naturellement d’être primée « Athlète de l’année » au Canada et « Révélation de l’année » par la WTA. Désormais numéro 5 mondiale, elle se rapproche un peu plus du trône occupé par Ashleigh Barty.
Alors que Félix Auger-Aliassime et Bianca Andreescu ont crevé l’écran en première partie d’année, Denis Shapovalov a décidé de mettre le turbo en fin de saison. Après avoir remporté son premier titre ATP à Stockholm, le jeune joueur dispute sa première finale de Masters 1000 à Paris. Battu par Novak Djokovic, le Canadien semble néanmoins avoir franchi un nouveau cap. Aidé par Vasek Pospisil, Denis Shapovalov emmène alors son pays en finale de la Coupe Davis, après avoir écarté l’Italie, les États-Unis, l’Australie et la Russie. Même si l’Espagne soulève le trophée, ce résultat reste historique pour le tennis canadien. En effet, il faut remonter à 1913 pour trouver une performance similaire.
Avec la victoire de Bianca Andreescu à l’US Open 2019, Louis Borfiga et Tennis Canada ont totalement réussi leur pari. Pourtant, ce succès ne doit pas être considéré comme un aboutissement. Milos Raonic et Eugénie Bouchard ont le potentiel pour revenir à leur meilleur niveau, tandis que Denis Shapovalov, Félix Auger-Aliassime et Bianca Andreescu semblent destinés à un avenir radieux. Répondront-ils aux attentes ? Sauront-ils gérer la pression pour devenir de grands champions ? On a hâte de le découvrir. Le Canada doit également aspirer à remporter la Coupe Davis et la Fed Cup prochainement. C’est un objectif largement envisageable, surtout que de nouveaux talents risquent d’émerger rapidement. Victorieuse du simple filles à Roland-Garros en 2019, la jeune Leylah Annie Fernandez symbolise parfaitement cette tendance. Et si les années 2020 étaient celles du tennis canadien ?
Crédits photo à la Une: Carine06