Il y a quelques semaines, le Partizan Belgrade a gagné le droit de disputer les barrages pour une qualification à la phase de poules de la Ligue des Champions version 2015-2016, et affrontera pour cela les Biélorusses du Bate Borisov. La présence du club serbe, champion en titre, ne serait qu’une juste chose pour un football en pleine reconstruction et qui malgré les fantômes du passé (corruption, violence) se tourne vers le futur grâce à une qualité de formation exceptionnelle (8 clubs de l’ex-Yougoslavie figurent parmi les 30 meilleurs clubs formateurs en Europe) récompensée par le titre de Champion de Monde de la Serbie U20 décroché à Auckand en Nouvelle-Zélande le 20 juin dernier au nez et à la barbe des Brésiliens.
Les fantômes du football serbe: violence, corruption et matchs truqués ont fait oublier le glorieux passé du football yougoslave
Si vous faites une recherche sur les liens entre football et Serbie, vous aurez malheureusement plus de chances de tomber sur la ribambelle d’articles relatant le côté noir du football serbe plutôt que de papier vantant les résultats sportifs des clubs de l’ex-Yougoslavie. En effet sur le plan purement sportif, il est à espérer pour le football serbe que le Partizan Belgrade, champion en titre, se qualifiera pour la phase de poules de la Ligue des Champions version 2015-2016 (ils viennent d’éliminer au second tour des barrages les roumains du Steaua Bucarest et affronteront lors du barrage final les Biélorusses du Bate Borisov), car la présence des clubs serbes sur le grand échiquier européen est devenu une denrée rare depuis l’indépendance et la fin des guerres de Yougoslavie. Si jamais le Partizan passe les barrages, ce ne sera que la 3ème fois en 12 ans que le club participera aux phases de poules, après les saisons 2003-2004 et 2010-2011 – les deux fois les serbes ont terminé dernier de leur groupe, avec même un zéro pointé en 2011 -. Une hérésie totale quand on pense aux grandes heures du football yougoslave, avec notamment la grande époque de l’Étoile Rouge de Belgrade, vainqueur de la Coupe des Clubs Champions (Ligue des Champions actuelle) en 1991 au nez et à la barbe de l’Olympique de Marseille (0-0 / 5-4 aux tirs au but) ainsi que de la Coupe Intercontinentale contre les chiliens de Colo Colo. Sans parler de l’équipe nationale qui a brillé pendant plusieurs décennies sur l’Europe (finaliste des Euros 1960 et 1968, 1/2 finaliste en 1976) et le Monde (1/2 finaliste de la Coupe du Monde 1962 et trois fois 1/4 de finaliste). Depuis la dissolution progressive de la Yougoslavie, la Dream Team des Balkans a fait place à une multitudes de nouvelles sélection : Croatie, Slovénie, Macédoine, Bosnie-Herzégovine, Serbie et Monténégro. Juridiquement parlant, c’est bel et bien la Serbie qui est considérée par la FIFA ou le Comité Olympique comme l’héritière de l’équipe Yougoslave. Comme dit la pub, “ça, c’était avant”, avant la guerre, avant l’indépendance et avant que le football ne change. Car aujourd’hui, le football serbe fait malheureusement plus parler de lui dans la rubrique des faits divers….
Comment en est-on arrivé là ? Un début d’explication peut se trouver dans le fait qu’en Serbie, les hooligans qui pourrissent aussi bien l’univers du foot que toute la société serbe – il n’y a qu’à voir les affrontements violents lors des dernières éditions de la “gay-pride” à Belgrade, qui a du tout simplement être annulée cette année pour éviter un pugilat -. Plus qu’ailleurs, ces hooligans intimement liés aux groupuscules d’extrême droite jouissent encore aujourd’hui d’un fort pouvoir d’attraction et de nuisance sur une large frange de la jeunesse serbe en mal d’identité dans l’échiquier décomposé des Balkans. Ils multiplient les actions coup de poing pour se faire entendre et n’hésitent pas à avoir recours à la violence pour défendre les “valeurs traditionnelles de la Serbie” et utilisent pour cela souvent le domaine du sport, football et basket en premier lieu. Exemple le plus dramatique de ces dernières années, la mort du français Brice Taton, agressé le 17 septembre 2009 à Belgrade. Ce jeune Toulousain, supporter du TFC, s’était rendu avec une dizaine d’autres supporters du club haut-garonnais dans la capitale serbe pour encourager son équipe fétiche qui affrontait le Partizan dans le cadre d’un match d’Europa League. Le français ne verra jamais le coup d’envoi : quelques heures avant le début du match et alors qu’il est assis à la terrasse d’un café du centre de Belgrade, il est sauvagement et gratuitement agressé par une bande de hooligans qui le laissent pour mort sur le trottoir. Le français décédera douze jours plus tard. Pour un match de foot. Il y aura bien un procès, mais les peines de première instance de janvier 2011, qui allaient de 4 à 35 ans de prison, ont été ramenées en appel de 4 à 15 ans de prison. Un changement de gouvernement est intervenu en Serbie, entre les deux procès… Autre fait divers qui a fait le tour du monde, les incidents lors du dernier Serbie-Albanie en marge des qualifications pour l’Euro 2016 en France. Le match n’aura duré que 40 minutes, moment auquel est apparu sur la pelouse un drone avec le drapeau de l’Albanie. A ce moment là, un joueur serbe (Stefan Mitrovic) a essayé d’attraper le drapeau pour l’éloigner de la pelouse. Mauvaise limonade : deux joueurs albanais lui sautèrent dessus pour le lui arracher, ce qui provoqua une bagarre générale d’un autre temps entre joueurs et staffs des deux équipes. Toute cette histoire aurait pu se calmer avec quelques cartons rouges, si les hooligans serbes – pour la plupart déjà condamnés pour violence, mais bien entendu pas interdit de stade…- ne s’étaient pas immiscés sur la pelouse pour frapper les joueurs albanais avec tout ce qui leur tombait sous la main. Réfugiés dans le vestiaires, ces derniers ne voulurent pas en ressortir et verdict du Tribunal Arbitraire du Sport (TAS) fut sans équivoque : c’est la Serbie qui est tenue pour responsables de ces incidents, et qui perd donc le match sur tapis vert (3-0, 1 point de pénalité) et voit par la même occasion ses chances de disputer l’Euro 2016 s’envoler. Une fois encore, la politique et la violence l’ont emporté sur le sport…
Et malheureusement la liste s’allonge un peu plus toutes les semaines : violence impunie des hooligans, malversations, soupçons de matches truqués – le dernier soupçonné en date le 19 juillet dernier pour l’ouverture du championnat dans le derby de Belgrade : l’OFK reçoit l’Étoile Rouge et mène 2-0 à le mi-temps. Fin du match, 6-2 pour l’Étoile Rouge…Des émissaires du club seraient rentrés dans les vestiaires adverses à la mi-temps. No comment -. Certains dirigeants semblent donc toujours tournés vers des méthodes héritées du passé, et si l’on ajoute à cela la pression mise par les ultras (les DELIJES à l’Étoile Rouge / les GROBARI au Partizan) sur les instances, les clubs et les joueurs du championnat serbe, le cocktail reste encore aujourd’hui assez explosif. En outre, à Belgrade, les politiques qui viennent au stade passent autant de temps à observer les virages que les joueurs sur la pelouse. C’est un héritage yougoslave : ils interviennent dans la gestion des clubs et surveillent l’état de leur popularité dans les tribunes. L’ex Premier ministre Ivica Dačić a d’ailleurs récemment annoncé qu’il voulait privatiser les deux clubs phares du Partizan et de l’Étoile Rouge de Belgrade, mais il n’est pas sûr qu’un investisseur fiable veuille mettre son nez dans le football serbe, qui en dit long sur l’état réel de la Nation, passée et présente. Pas sûr non plus que ce soit du goût du nouveau premier ministre serbe Aleksandar Vučić, qui ne manque jamais une occasion de clamer sa passion dévorante pour l’Étoile Rouge. Dernier exemple en date lors de la visite officielle de Manuel Valls à Belgrade en novembre dernier, Vučić créa un incident politique interne : il lui offrit un maillot rouge et blanc de son club éternel, le préférant à celui de l’équipe nationale serbe…
L’ex-Yougoslavie, pôle de formation d’excellence en Europe
Malgré tous ces côtés noirs, le football serbe n’est pour autant pas mort, loin de là, et son salut passera peut-être par les nouvelles générations de joueurs nés après l’indépendance du pays. Pour cela, tous les grands clubs de l’ex-Yougoslavie mettent le paquet sur la formation, trop content de pouvoir exploiter les grands talents dont regorgent les Balkans dès qu’il s’agit de sport : football, mais aussi le basket avec le retour sur le devant de la scène européenne de l’Étoile Rouge et le tennis depuis l’avènement du numéro 1 mondial Novak Djokovic qui a notamment permis à la Serbie de remporter la Coupe Davis en 2010 face à la France. Pour ce qui est de formation de ces jeunes pépites, l’ex-Yougoslavie a fait le pari de ne pas les laisser tomber, trop fière de pouvoir trouver par le biais du sport de haut niveau un échappatoire à toute une génération de gamins nés dans une Nation traumatisée par les guerres successives dans les Balkans. C’est par exemple le cas pour le club du Partizan de Belgrade, dont le centre est classé en 2014 deuxième meilleur centre de formation en Europe (!) derrière l’Ajax d’Amsterdam. Comment est-ce possible ? Comme l’explique le responsable Momčilo Vukotić, (ex-international yougoslave et légende du Partizan avec qui a remporté 3 titre de champions et joué 395 matchs en pro) : “le centre a été construit en 1998. C’est certainement le plus performant d’ex-Yougoslavie. Nous disposons de sept terrains. La seule chose qui nous manque, c’est une piscine ! Le club a 70 ans et il a toujours gardé sa tradition formatrice. Lors de la finale de C1 perdue face au Real Madrid (2-1), en 1966, sept ou huit joueurs de l’équipe avaient été formés au club. » Si le club ne fait aujourd’hui plus parti des cadors européens, ni en Ligue des Champions ni en Europa League, il a réussi a conserver ses vertus fondatrices en témoignent sa deuxième place européenne en terme de fondation. « On a dix générations au club, de 8 à 18 ans, détaille cette fois Vukotić. De 8 à 12 ans, ils ne disputent aucune compétition. Ils apprennent juste à jouer, à s’ouvrir l’esprit, à connaître les secrets du football. En haut de la pyramide, on fait monter tous les ans quatre à six joueurs de la réserve en équipe première. » De quoi perpétuer la compétitivité sur le plan national malgré la situation financière catastrophique des clubs serbes : le Partizan cumulerait une dette de 15 millions d’euros et a passé les deux-tiers de la saison 2014-2015 sans sponsor maillot, alors que son frère ennemi de l’Étoile Rouge traîne toujours un déficit colossal, estimé à 50 millions d’euros, et ne décolle plus de l’étage domestique. En 2014, le club avait terminé champion de Serbie, mais ne put s’engager en Coupe d’Europe, pour non-respect du fair-play financier et défaut de licences…
Pour revenir à la formation et si l’on regarde le classement du plus près, on s’aperçoit que le “Big Four” (et oui, ce n’est pas une exclusivité anglaise) de l’ex-Yougoslavie – Partizan et Étoile Rouge de Belgrade, Dinamo Zabreb et Hajduk Split – figure toujours dans le top 10, et 8 dans le top 30, ce qui est loin d’être le cas pour les football français (Lyon et le PSG dans le top 30) ou anglais (Manchester et Arsenal) par exemple :
1 – AJAX D’AMSTERDAM (Pays-Bas)
2 – PARTIZAN BELGRADE (Serbie)
3 – F.C BARCELONE (Espagne)
4 – DINAMO ZAGREB (Croatie)
5 – SHAKTHAR DONETSK (Ukraine)
6 – HAJDUK SPLIT (Croatie)
7 – REAL MADRID (Espagne)
8 – SPORTING LISBONNE (Portugal)
9 – ETOILE ROUGE ELGRADE (Serbie)
10 – SPARTA PRAGUE (Rep. Tchèque)
15 – OLYMPIQUE LYONNAIS (France)
18 – MANCHESTER UNITED (Angleterre)
19 – VOJVODINA (Serbie)
22 – OSIJEK (Croatie)
23 – PARIS SG (France)
24 – FK RAD (Serbie)
28 – ARSENAL (Angleterre)
30 – OFK BELGRADE (Serbie)
U20 Serbes Champions du Monde : 1er titre mondial depuis l’indépendance
2014. L’équipe de Serbie s’incline en 1/2 finale de l’Euro U19 contre le Portugal (0-0 4-3 aux tirs-au-but) et rate le Graal européen dans une compétition disputée en Hongrie sur les rives du Danube. Ce groupe de jeunes joueurs, tous nés après l’indépendance, s’était promis par orgueil de remporter la coupe du Monde l’année suivante. Et c’est bien lors de la Coup du Monde U20 organisée cette année en Nouvelle-Zélande que les jeunes serbes vont écrire la plus belle page de l’histoire de leur jeune nation. Emmenés par leur sélectionneur Veljko Paunovic, un coach moderne et branché 2.0, adepte des longs discours tactico-tactiques et analyses vidéos à outrance, cette équipe s’est appuyée sur une solidité défensive et une discipline de fer pour bâtir son succès. Outre l’aspect footballistique, le sélectionneur serbe s’est attaché aux cours des différentes campagnes avec ses joueurs pas encore vraiment adultes à “tenter de leur transmettre tout ce qu’il sait pour les aider à devenir non seulement de bons footballeurs, mais aussi des gens bien ». D’ailleurs, le sélectionneur n’a pas hésité à utiliser le poids de l’histoire de la nation pour motiver ses troupes. Avant la finale contre le Brésil (victoire 2-1 des Serbes après prolongation), il a diffusé les images du mondial U20 au Chili en 1987 qui avait vu la victoire de la dernière jeune génération Yougoslave d’avant-guerre. D’ailleurs, la force mentale est certainement la qualité première de ces jeunes serbes, qui lors des matchs à élimination directe a remporté tous ces matchs après prolongation (!) :
1/8ème de finale : Serbie – Hongrie : 2-1 (a.p)
1/4 de finale : Serbie – USA : 0-0 (6 tirs au but à 5)
1/2 finale : Serbie – Mali : 2-1 (a.p)
Finale : Serbie-Brésil : 2-1 (a.p)
Voici la liste de ces 23 jeunes joueurs, nés entre 1995 et 1998 (!) et dont il faudra suivre l’évolution dans les mois et années à venir :
Gardiens: Predrag RAJKOVIC (Étoile Rouge de Belgrade), Vanja MILINKOVIC-SAVIC (Manchester United) et Filip MANOJLOVIC (Étoile Rouge de Belgrade).
Défenseurs: Nemanja ANTONOV (OFK Belgrade), Milos VELJKOVIC (Tottenham Hotspur FC), Srdan BABIC (FK Vojvodina), Stefan MILOSEVIC (FK Spartak Subotica), Vukasin JOVANOVIC (Étoile Rouge de Belgrade), Miladin STEVANOVIC (Partizan Belgrade) et Radovan PANKOV (FK Vojvodina).
Milieux: Nemanja MAKSIMOVIC (FC Astana), Mijat GACINOVIC (FK Vojvodina), Andrija ZIVKOVIC (Partizan Belgrade), Marko GRUJIC (Étoile Rouge de Belgrade), Filip JANKOVIC (Catania Calcio), Sergej MILINKOVIC-SAVIC (KRC Genk), Milan GAJIC (OFK Belgrade) et Sasa ZDJELAR, (OFK Belgrade),
Attaquants: Ivan SAPONJIC (Partizan Belgrade), Stanisa MANDIC (FK Cukaricki) et Stefan ILIC (FK Spartak Subotica).
Il s’agit, pour la Serbie, du tout premier sacre international et ce, quelle que soit sa catégorie d’âge, depuis l’éclatement de la Yougoslavie dans les années 1990. Ou comment devenir pour ces minots les idoles de tout un peuple qui les a accueillis en rock-star à leur arrivée à l’aéroport de Belgrade. De quoi envisager la fin des années noires pour le football serbe et rendre un peu de fierté à cette nation de football ? Belgrade et la Serbie, une poudrière aux œufs d’or…