D’une voix calme et posée, Faneva Andriatsima, attaquant de Sochaux (Ligue 2), a gentiment accepté de répondre à nos questions. En toute modestie, le joueur de 32 ans se confie sur son parcours, ses origines malgaches et sur ses ambitions avec son club et sa sélection nationale. Entretien.
Pour commencer l’interview, Faneva, pourrais-tu te présenter brièvement à nos lecteurs ?
Je m’appelle Faneva Andriatsima, j’ai 32 ans. J’évolue en France, où j’ai joué pour pas mal de clubs, notamment à Créteil, 4 ans. J’ai débuté à Nantes, et huit ans plus tard, me voilà à Sochaux.
Jusqu’à 23 ans, tu as évolué dans différents clubs de Madagascar, ton île natale. Quelle importance a le football là-bas ?
Tout d’abord, on ne peut pas réellement vivre du football à Madagascar, car il n’y a pas de club pro. Il n’y a pas non plus de structures, d’installations, pour pouvoir évoluer dans des conditions de joueur pro. Moi, j’ai joué au foot à Madagascar dans l’espoir d’être repéré et d’intégrer ensuite un club de la Réunion, l’île voisine. Mais j’ai eu de la chance que quelqu’un me repère et m’emmène finalement à Nantes. C’est grâce à cela que j’en suis là aujourd’hui, car normalement, j’aurais dû évoluer à la Réunion.
Justement, celui qui t’a emmené à Nantes, c’est Hosman Gangate. T’es-tu dis que tu allais enfin pouvoir, peut-être, devenir pro en France ?
Non, car au début tout a été un peu compliqué. Hosman tenait une équipe à la Réunion (AS Excelsior de St-Joseph, DH). C’est d’ailleurs lui qui a ramené Dimitri Payet, qui a évolué à St- Joseph, à Nantes . Cela a marché pour Dimitri, mais ce n’était pas aussi évident pour moi.
On ne peut pas vivre du football à Madagascar, il n’y a pas de clubs ou d’installations qui permettent d’évoluer dans des bonnes conditions »
Comment vous êtes-vous rencontrés avec Hosman Gangate ?
On s’est rencontré lors d’un match de Ligue des Champions Africaine. Mon club, l’USCA Foot, affrontait le sien. En me voyant, il a pensé que j’avais les qualités pour pouvoir jouer en France. Mais après il y a eu des complications. Il s’est écoulé un an avant que je parte car l’USCA ne voulait pas que je m’en aille. L’USCA est un club amateur, et lorsqu’un joueur sort d’un club amateur, ce dernier va demander beaucoup d’argent. Après il fallait aussi vérifier que tout était en ordre pour faire les tests en France. Tout cela ne plaisait pas à mon club.
Finalement tu as pu faire ces tests, et tout s’est bien passé: tu as intégré le FC Nantes…
Oui, mais j’ai aussi eu de la chance d’arriver au bon moment. Malgré quelques soucis, Nantes évoluait alors en Ligue 1. Je suis arrivé pour jouer avec l’équipe de CFA, et après deux semaines d’essais que j’ai réalisé au mois de mars 2007, le FCN m’a proposé un contrat d’une saison. Après j’avais 23 ans, il fallait voir si j’allais m’adapter ou non. Mais au bout de 4 mois, j’ai commencé à jouer avec les pros et ils m’ont prolongé au mois de décembre.
Nantes t’a ensuite prêté à Cannes (N), puis Boulogne (N). Etais-tu un peu déçu de devoir redescendre pour jouer en National, ou étais-tu plutôt satisfait de pouvoir jouer en France, à un niveau déjà assez relevé ?
Personnellement, jouer en National, c’était une sorte de bonus. Il y a un an de cela, j’évoluais dans un club amateur à Madagascar, où je jouais contre des clubs niveau PH, CFA 2 maximum…
Tu n’as pas été déçu de ne pas rester à Nantes, qui évoluais en Ligue 2 ?
Le coach du FCN (Michel der Zakarian) m’a fait un peu confiance et il m’est arrivé de jouer quelque fois en Ligue 1 ( Faneva a disputé 14 matchs pour 5 buts inscrit toutes compétitions confondues en 2007-2008, NDLR). Après, le club, qui est descendu de L1 en L2, m’a proposé de prolonger et de jouer minimum avec la CFA. J’ai accepté. Je ne voulais pas brûler d’étape. Finalement, Nantes m’a prêté à Cannes et à Boulogne. En y réfléchissant, je pense que j’aurais eu quelques difficultés pour jouer en L2. Ce n’était que ma deuxième année en France, et j’avais encore un peu de mal à assumer ce nouveau statut à l’époque.
Mon passage au FC Nantes reste un très bon souvenir. Le club m’a permis de venir en France. Cela m’a marqué. Nantes est un club que j’aime beaucoup.
Est-il vrai qu’à ton départ de Nantes (à l’été 2009), tu as eu un litige financier avec la direction du club ?
Non. Je pense plutôt que c’est mon agent à l’époque qui n’a pas été correct: je lui ai dit que si je partais, je prenais 6 mois de salaire et il m’a dit oui. Finalement, je me suis retrouvé avec 3… Je pense que c’est mon agent qui a fait le coup, mais en aucun cas le FC Nantes qui s’est montré respectueux et qui, à cause de ses soucis financier, a dû faire partir pas mal de ses jeunes joueurs. Mon passage au FC Nantes reste pour moi un très bon souvenir. Le club m’a permis de venir en France. Cela m’a marqué. Nantes est un club que j’aime beaucoup.
Par la suite, tu réalises une saison 2009-2010 prometteuse à Amiens (7 buts en 33 matchs de National). Pourquoi avoir choisi de quitter le club pour rejoindre Beauvais (N) dès l’été suivant ?
A Amiens, j’ai réalisé un mauvais début de saison. J’ai été blessé et de plus on m’a fait jouer ailier gauche alors que mon vrai poste est attaquant axial. Il y a aussi eu un changement d’entraîneur… Malgré les 7 buts, je trouve quand même que ma saison a été moyenne, et puis, finalement, le club décide de ne pas me garder. C’est comme ça, ce n’est pas grave… Beauvais est ensuite arrivé, j’ai parlé avec son président qui m’a proposé de jouer pour eux et j’ai accepté.
Dans une interview au Monde, en juin dernier, tu disais avoir eu des difficultés à bien gagner ta vie en National. Pour toi, aujourd’hui, un joueur moyen de National ne peut pas uniquement vivre du football ?
Non, je ne pense pas. Un joueur qui a joué 10 ans en National doit travailler aussi à côté. Même si tu as joué 3 ans en Ligue 2 en plus, tu as toujours besoin de travailler à côté…
D’ailleurs pour gagner un peu mieux ta vie, tu vendais des minibus en parallèle (*)…
Je n’ai pas réellement gagné plus… (Il réfléchit) Moi, j’ai de la famille à Madagascar et je dois les aider. Après ce n’est pas dans ma nature de donner, et encore donner. Je les aide, mais pas question de les habituer à leur envoyer de l’argent tous les mois. Il fallait que je gère tout cela, car moi je ne gagnais pas énormément aussi. J’ai donc dû vendre des minibus pour que tout le monde soit gagnant. Moi, ma famille… J’ai fait rentrer un peu d’argent et je partageais les bénéfices. Cela soulageait ma famille et moi-même.
Quand Créteil est monté en Ligue 2 lors de la saison 2012-2013, est-ce que tu t’es senti libéré du fait que tu allais enfin pouvoir bien gagner ta vie ?
Non, pas forcément. Un club comme Créteil, qui monte en Ligue 2, ne va pas te donner énormément d’argent. Il va te donner quand même le minimum. Mais comme je te le disais, jouer 3 saisons en Ligue 2, ça ne te suffit pas, tu ne peux pas dire que tu es bien financièrement. Tu dois payer tes impôts, et ça jusqu’au bout de ta vie. La vie, c’est cher…
D’ailleurs, ta déception devait être énorme quand Créteil est redescendu en National la saison passée…
Bien sûr que oui. Créteil c’est mon club de cœur. J’ai vécu des moments formidables avec ce club. Même si je savais que je ne pourrais pas prolonger en fin de saison, j’avais à cœur de les aider à rester en Ligue 2 avant de partir. C’était important pour moi… Après la saison passée à été compliquée, on n’y arrivait pas. Il y a beaucoup de questions. On avait fait un très bon début de saison, mais le coach, Thierry Froger, s’est fait agresser (**). Moi, je pense que la relégation s’est jouée là. Thierry c’était un bon coach, qui nous faisait bien travailler… Le football, parfois, c’est difficile comme cela…
Tu en penses quoi des chances de Créteil cette saison en National. Ils peuvent remonter dès cette saison en Ligue 2 ?
C’est tout ce que j’espère pour eux. Mais après, je connais très bien le National. C’est un Championnat pas facile à jouer. Il va falloir bien travailler. J’espère pour eux qu’ils vont trouver cette formule qui va leur permettre de remonter dès cette saison.
Cet été, as-tu eu peur de devoir repartir jouer en National ? Ou, au contraire, savais-tu que tu allais repartir en Ligue 2 ?
(Il réfléchit) J’ai eu quelques contacts en Ligue 2, mais aussi quelques uns à l’étranger. Mais oui, je ne voulais pas repartir en National. Pour moi, le National c’est fini.
Je ne suis pas omnibulé par le but, je veux d’abord aider l’équipe avec mes qualités. De n’importe quelle manière. Faire marquer c’est déjà pas mal. L’essentiel c’est que l’équipe tourne »
Tu as finalement choisit Sochaux. Mais les clubs étranger proposaient sûrement plus d’argent pour que tu viennes…
J’ai choisit Sochaux car quand le coach (Albert Cartier) m’a proposé son projet, ça m’a plut. Sochaux, c’est un club mythique, donc j’ai accepté. Bien sûr que les propositions des clubs étrangers étaient plus intéressantes financièrement. Mais pour ma famille, ça n’aurait pas été aussi facile que cela de changer de pays, surtout pour mes enfants. C’est pour cela que j’ai décidé de rester en France. Mais je n’exclus rien. Si le corps suit, pourquoi pas un jour finir ma carrière dans un club étranger. On va déjà faire les deux ans avec Sochaux et on verra cela plus tard…
Sochaux fait un bon début de saison et reste bien au contact du podium. La montée en Ligue 1 c’est jouable cette saison avec Sochaux ?
Il y a beaucoup de club prétendants. Il y a les trois clubs descendus de Ligue 1, Troyes, Reims, le Gazélec Ajaccio…
Mais Sochaux a bien battu Troyes sur son terrain lors de la 1ère journée (3-1, avec doublé de Faneva)…
Oui mais la montée en Ligue 1 ne se joue pas sur un match de coupe (rires). Le maintien est notre objectif prioritaire.
Mais ça prouve qu’il y a un certain potentiel…
Il y a des grands favoris dans ce Championnat. Reims, les autres descendants, Le Havre, qui a fait une bonne fin de saison l’année dernière, Strasbourg. Amiens (son ancien club) ? C’est un promu qui s’appuie sur sa montée de la saison passée et qui pourrais créer la surprise. Evian et Metz ont déjà réussit cette double- montée. Sochaux sort d’une saison difficile (Sochaux s’était maintenu in extremis au détriment d’Evian, NDLR), même si le club a fait un beau parcours en Coupe de France (demi-finale perdue face à Marseille, NDLR). On va déjà essayer de prendre les 44 points le plus vite possible, et après si on peut gratter, on verra…
Mais Sochaux a quand même sa carte à jouer…
En Ligue 2, tout le monde a sa carte à jouer. Tout le monde peut battre tout le monde. C’est un Championnat très relevé et on ne peux pas savoir à l’avance qui va faire quoi. Pour nous, l’essentiel c’est d’avoir un effectif solide, un bon groupe, soudé. On fait un bon début de saison aussi l’année dernière avec Créteil, mais on a finit par descendre. Il faut jouer sur la durée…
Tu es en tête du classement des buteurs de Ligue 2 avec 5 réalisations. As-tu envie de finir meilleur buteur de ce Championnat pour prouver que tu pourrais avoir ta place dans un club plus huppé ?
Non. J’essaie d’abord d’aider mon équipe au maximum. Mais si je peux faire une passe décisive je la fais, si je peux marquer, je marque… Je ne me suis pas fixé d’objectifs personnels, le collectif prime. Je ne peux pas marquer de but tout seul, gagner les matchs tout seul…J’ai besoin de mes coéquipiers. Je ne suis pas omnibulé par le but, je veux d’abord aider l’équipe avec mes qualités. De n’importe quelle manière. Faire marquer c’est déjà pas mal. L’essentiel c’est que l’équipe tourne…
Désormais, on va parler de ta carrière internationale. Tu joues avec la sélection malgache régulièrement. C’est un honneur pour toi de représenter Madagascar par le football ?
C’est tout à fait ça. Ma première sélection date de 2006. A un moment j’ai arrêté un peu de jouer pour la sélection en 2009, lorsque j’évoluais à Amiens. Ensuite, un an ou un an et demi plus tard j’ai repris. Mais oui, pour moi, c’est un honneur. Madagascar c’est mon pays, et si je peux l’aider dans tous les domaines, je l’aide. Après, j’espère que d’autres compatriotes vont venir nous rejoindre bientôt. Il y a beaucoup de Malgaches qui jouent en France, à l’étranger et que l’on souhaiterait faire venir. J’espère que d’ici un ou deux an on aura une équipe compétitive.
Mais pour le moment, Madagascar n’a jamais pu jouer une grande compétition internationale (CAN, Coupe du Monde…). A ton avis, qu’est-ce qui vous manque pour enfin y arriver ?
Pour le moment, il est vrai que l’on a jamais joué de compétition internationale. Il nous manque plein de choses. Pour moi, la solution, ce serait de ramener des joueurs en France et de les y faire progresser pour ensuite les faire jouer pour la sélection malgache. Mais cela demande beaucoup d’efforts, des joueurs, des entraîneurs…Après si tu viens jouer, un an, deux ans avec la sélection pour ne plus y revenir, ça ne sert à rien. Il faut vraiment un effort des joueurs, car tout se joue sur le terrain. Mais il est vrai, on est une sélection modeste et ça aussi c’est une difficulté. Mais il n’y aurait pas de soucis si tous les joueurs se » défonçaient » pour le maillot. Il y a des clubs, des sélections, qui n’ont aussi pas beaucoup d’argent, mais quand il y a un état d’esprit, ça marche.
Madagascar est une sélection modeste et ça c’est une difficulté. […] Il y a des clubs, des sélections, qui n’ont aussi pas beaucoup d’argent, mais quand il y a un état d’esprit, ça marche »
Il y a quand même quelque chose à faire, un potentiel…
C’est vrai qu’il y a un potentiel. Mais cela ne suffit pas. Il faut du travail. Là encore c’est aux joueurs de jouer. Je sais que la Fédération n’a pas énormément de moyens, mais c’est à nous de nous battre. Si un jour on arrivait à se qualifier pour une grande compétition, cela serait comme une vitrine pour le pays, et d’autres joueurs viendraient, et le niveau du pays s’élèverait.
Et il y en a d’autres qui choisissent d’autres sélection, comme l’équipe de France. C’est dommage…
Après c’est leur choix. Quand tu vois qu’un joueur aussi talentueux que Ben Arfa n’est pas pris, les joueurs qui hésitent entre les deux sélections doivent bien réfléchir. Car jouer pour les Bleus ce n’st pas facile, il y a de très grands joueurs. Après j’espère que certains joueurs, dans le doute, vont opter pour Madagascar et nous rejoindre bientôt. Mais après si certains peuvent représenter l’équipe de France tant mieux. Jouer pour la France c’est une fierté, c’est un pays qui t’a accueilli.
Un joueur comme Franck Béria (Lille), pourrais peut-être venir…
Oui, mais après s’il décide de ne pas venir… Je ne sais pas s’il a déjà été convoqué, si c’est son choix de ne pas venir… Je pense tout de même que la fédération l’a contacté, mais s’il décide de ne pas venir, c’est autre chose. Cela reste son choix. Moi, j’espère que d’autres joueurs vont nous rejoindre d’ici un ou deux ans, pour pouvoir bien nous préparer pour une échéance comme la CAN 2019. On va essayer de travailler dès maintenant. Je suis en train de collaborer avec la Fédération pour essayer de faire venir d’autres joueurs.
Quel rôle joues-tu précisément ?
J’essaie de parler un peu à certains joueurs quand je les croise. Par exemple, Thomas Fontaine, le joueur de Clermont, sa grand-mère est Malgache et il peut évoluer avec nous, en plus il nous manque un bon défenseur central. Après je pense que Marco Ilamaharitra, qui joue avec moi à Sochaux, va bientôt nous rejoindre. Après il y a aussi Jérôme Mombris, qui joue au GFC Ajaccio, qui souhaiterait nous rejoindre. Albert Rafetraniaina (Nice) et Stéphan Raheriharimanana (Red Star) sont d’autres exemples, et j’espère que tout ce qui concerne les papiers sera réglé très prochainement pour qu’ils puissent venir rapidement. On peut vraiment faire quelque chose. Mais il faut que tous aient envie d’aider le pays.
Sinon, as-tu déjà pensé à ton après carrière ?
Oui. Tout le monde est obligé de penser à son après-carrière. J’ai 32 ans, plus 19. J’ai 2-3 idées dans ma tête. Mais on verra ça au moment voulu. Mais, oui, on y réfléchi déjà avec ma femme. Elle est en ce moment en formation de gérante de société. Rien n’est fixé, on réfléchit. On a envie de rester en France.
Tu as déjà une carrière à finir…
(Rires) Oui tout à fait. J’ai encore mes deux ans à Sochaux . Je vais faire le maximum pour y faire de belles choses. Après, quand je serais en fin de contrat avec Sochaux, j’aurais 34 ans. Si le corps suit, je jouerais encore, s’il dit stop et bien je m’arrêterais. On verra…
Propos recueillis par Edgar Perronnet – @edgar_perronnet
(*) Pour gagner un peu plus d’argent, Faneva allait acheter des minibus d’occasions en Allemagne avant de les revendre à Madagascar. Un commerce qui lui rapportait entre 1 500 et 2 000 € par véhicule.
(**) Fin Août 2015, Thierry Froger, alors entraîneur de Créteil, est violemment giflé par un individu extérieur au club. S’en suivra un long arrêt maladie puis sa démission du poste d’entraîneur, remplacé au mois de décembre par Laurent Roussey.
Crédits photo à la une: fcsochaux.fr