Pour le compte de son article reportage du mois de mars 2016, la rédaction d’Au Stade est partie à la rencontre d’un homme hors du commun: Stéphane Houdet, numéro un mondial de sa discipline: le tennis fauteuil. Interview.
Pour commencer l’interview, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Stéphane Houdet et suis numéro un mondial de tennis fauteuil, qui est en fait du tennis en fauteuil roulant. Depuis tout petit, le tennis est mon sport de prédilection, c’est un petit peu comme une deuxième vie pour moi. Après quelques années au niveau national sur mes deux jambes, je suis devenu vétérinaire par la suite. Mais c’est un accident de moto m’a fait renouer avec mes premières amours (le tennis, ndlr). En conséquence, deux années plus tard, je me suis remis à jouer au tennis, mais assis cette fois, toujours avec autant de plaisir.
A la suite d’un accident de moto en 1996, tu passes deux semaines dans le coma à la suite de quoi tu es amputé du fémur. Tu entames ensuite une carrière dans le handigolf entre 2001 et 2006. Pourquoi avoir basculé subitement vers le tennis fauteuil ?
C’est une rencontre qui m’a fait rebasculer dans mon véritable sport de tout gamin. A la base, je ne savais pas du tout qu’on pouvait jouer au tennis en fauteuil en étant en fauteuil quotidien, comme moi à l’époque. Je ne l’avais jamais envisagé. Il faut savoir que mon accident s’est passé en deux temps: avant d’être amputé j’avais la jambe raide. C’est le fait d’avoir rencontré Johan Cruyff sur un parcours de Golf, qui lui était très impliqué dans le tennis fauteuil, qui m’a fait renouer avec la petite balle jaune. Il m’a dit « on va travailler ensemble dans l’organisation d’un circuit mondial de tennis fauteuil ». J’ai donc découvert le tennis fauteuil et j’ai tout de suite adoré !
Peux-tu nous présenter en quelques mots cette variante du tennis ?
Le tennis fauteuil est exactement la même discipline que le tennis classique. Il y a juste un point réglementaire qui varie: on a le droit à deux rebonds. Mais cette règle commence à disparaître petit à petit des cours étant donné qu’on essaye de prendre le plus de temps possible sur notre adversaire en attaquant la balle dès le premier rebond. Pour résumer, les deux sports sont très similaires, avec bien évidemment un mode de déplacement différent car le fauteuil ne nous permet pas de faire des déplacements latéraux droite-gauche. On décrit souvent des grands cercles, des grands huit avec notre fauteuil pour rester en mouvement.
Est-ce qu’un point au tennis fauteuil se marque dans la majorité des cas sur un coup gagnant ?
Dans la majorité des cas, je ne peux pas vraiment savoir. Très bonne question qui mérite réflexion. Il faudrait que j’analyse un peu plus mon jeu quand je joue ! (rires) Mais en tout cas, c’est ce qu’on recherche. Comme dans le tennis en fait.
Les montées au filet sont-elles présentes dans ton jeu ?
Oui il y a des montées au filet. Il faut cependant qu’elle soit définitive, car la montée au filet pourra donner lieu à une volée, mais peut-être pas à deux volées. Donc il faut abréger le jeu car les déplacements sont peu rapides en tennis fauteuil.
La prise de raquette varie-t-elle ?
Globalement c’est la même, en dehors du fait que beaucoup de joueurs (dont Stéphane Houdet, ndlr) jouent maintenant ce qu’on appelle le « revers inversé ». C’est-à-dire qu’on garde la même prise de raquette en coup droit comme en revers, ce qui permet de gagner du temps quand il faut qu’on se déplace avec la raquette dans la main. Sinon les autres joueurs utilisent des prises classiques pour servir, chiper, réaliser un coup droit, un revers etc.
En faisant du tennis fauteuil un sport paralympique, c’est nous qui faisons de la ségrégation
En 2015, tu as créé un tout nouveau fauteuil révolutionnaire parfaitement adapté à ta morphologie, avec l’aide notamment de chercheurs en biomécanique. Pourquoi ce choix, et qu’apporte ce nouveau fauteuil de plus que l’ancien ?
L’idée était au départ de me rapprocher le plus possible de la position du joueur debout et avec comme idée associée, de pouvoir utiliser le plus de muscles possible. De plus, quand on est à genoux, on peut avoir une meilleure rotation du dos et donc du corps, ce qui procure plus de puissance pour frapper mais aussi pour se déplacer.
Tu es le seul sur le circuit international à posséder ce type de fauteuil. Est-ce un avantage par rapport à tes concurrents ?
Je l’espère ! Cela a été très compliqué de s’adapter, ce n’était vraiment pas évident. On est toujours en train de développer et d’améliorer ce fauteuil. Je suis très intéressé par le fait que des joueurs me copient. Il y a sans cesse des gens qui prennent en photo le fauteuil, notamment des chinois. Il n’y a pas encore pas très longtemps, des personnes me disaient que c’était une idée folle de tenter ce pari. C’est un pavé qui a été jeté dans la mare. C’est toujours intéressant de penser en dehors des aprioris qu’on peut avoir aujourd’hui.
Une idée très intéressante certes, mais ne penses-tu pas que cette idée va être difficile à développer pour que tous les joueurs du circuit mondial peuvent en profiter étant donné que c’est une technologie très coûteuse à développer ?
Oui, bien sûr, comme toutes les recherches, c’est quelque chose d’unique et coûteux. En même temps, le fait de pouvoir démontrer que c’est possible va permettre à des personnes de réfléchir d’une autre façon. Petit à petit cela deviendra de moins en moins coûteux et d’autres joueurs inventeront peut-être de nouvelles postions. L’idée est avant tout de dire que tout le monde n’est pas obligé de jouer dans la même position, et qu’on peut aussi réfléchir tous ensemble pour faire évoluer le tennis fauteuil.
Combien y a-t-il d’adhérents au tennis fauteuil aujourd’hui en France ?
Pour être honnête avec toi, en France je ne sais pas. En tout cas il y a un peu près 700 joueurs au classement mondial, et 200 joueuses. Après, des nations comme la Chine ou encore les Pays-Bas ont plus de 2000 membres chacun. C’est une discipline qui est plutôt prisée dans le monde entier, et en plus il y a un circuit mondial. Il y a plus de deux tournois au minimum par semaine, et plus de 140 tournois par an dans le monde entier. En plus de cela on joue tous les grands chelems. En résumé il y a donc un circuit très fournis, très intéressant.
Combien de personnes vivent du tennis fauteuil à l’heure actuelle dans le monde ?
C’est assez compliqué à estimer. En fait, ce n’est pas une question de classement et donc de niveau. C’est-à-dire qu’il y a des joueurs qui ne sont pas forcément dans les dix premiers joueurs mondiaux, mais qui sont numéros uns dans leurs pays respectifs. Comme par exemple un de mes copains au Chili, qui est financé par la banque nationale du Chili qui vit du tennis en fauteuil, mais qu’on ne voit pas dans les grandes épreuves. Ça dépend vraiment des situations personnelles et des partenariats que les joueurs décrochent, ainsi que leur communication et leur médiatisation.
Retrouve-t-on les mêmes sponsors au tennis dit « classique » au tennis fauteuil ?
Il y a les deux en fait. Pour mon cas personnel, je suis sponsorisé par une grande marque de tennis, tandis que je suis aussi soutenu par une mutuelle qui n’est pas du tout impliquée dans le tennis. Pareil pour une marque de montres. J’ai aussi ce partenariat avec mon prothésiste et une marque qui ont conçu mon fauteuil.
On t’a déjà entendu parler de ton souhait de faire du tennis fauteuil une compétition à part entière, et donc par la même occasion se dédouaner du sport paralympique. Pourquoi ?
On nous parle d’intégration quotidiennement, mais en faisant du tennis fauteuil un sport paralympique, c’est un peu nous qui faisons de la ségrégation en interdisant à des valides de pouvoir jouer avec nous. Moi je rêve de pouvoir me retrouver en face de gens qu’on dit « normaux » non seulement pour faire partie de toute la planète, mais aussi dans un esprit de rééducation, de se rendre compte qu’on est capables de rivaliser avec des gens « normaux ». Par ce biais, nous ne serions plus associés qu’à un handicap. Je voudrais être champion d’un sport. Par exemple je voudrais jouer contre toi et te battre assis dans un fauteuil.
Aujourd’hui tu as 45 ans. Tu te donnes encore combien d’années sur le circuit ?
Il y a quelques années, je pensais que ce serait mes derniers jeux. Aujourd’hui je suis en forme, j’ai ce nouveau fauteuil, je suis redevenu numéro un mondial. J’adore ce que je fais, j’adore voyager… Je ne me mets pas de limites.
J’ai l’impression d’être intégré dans la grande famille du sport
Tu as aussi une carrière en dehors des cours de tennis. Tu animes par exemple des conférences depuis 2005, ou encore tu t’impliques auprès de militaires blessés au combat. C’était important pour toi de t’investir en dehors de ton sport ?
Oui tout à fait. Je pense que c’est normal car si on s’en sort, c’est aussi grâce quelque part au fruit du hasard et par le biais de rencontres, ce qui a été le cas dans mon parcours. Quand on a pu mesurer tout cela, on sait à quel point c’est bien de pouvoir le faire partager aux autres. Cela prouve aussi qu’il a une vie après l’accident, et que tout ne s’arrête pas à ce moment-là.
Les mentalités du grand public ont-elles changé depuis ton arrivée dans le monde du tennis fauteuil ?
J’ai toujours tendance à dire que dans la communication, quand tu envoies une image de mal être par exemple, tu vas recevoir une image de mal être en retour. Si tu envoies une image de sportif, tu vas donc recevoir une image de sportif. Je crois qu’aujourd’hui c’est exactement ce qui est en train de se passer. J’ai l’impression d’être intégré dans la grande famille du sport et du tennis. On voit bien que les mentalités évoluent depuis les premiers jeux paralympiques auxquels j’ai participé (à Pekin en 2006, ndlr).
Quels sont tes objectifs pour ta fin de saison à venir ?
Améliorer encore et encore mon fauteuil, et puis 2016 c’est bien sûr une année paralympique. Mais aussi de pouvoir jouer tous les tournois du Grand Chelem, avec notamment Wimbledon cette année pour la première fois. Et puis essayer d’aller décrocher un deuxième titre de Grand Chelem.
Quel serait ton classement si tu jouerais en face de personnes valides ?
Je dis souvent que je joue à peu près 15/2, mais j’ai battu une fois un 15, il n’y a pas très longtemps. Maintenant c’est assez compliqué car le déplacement fait qu’on est souvent en retard par rapport à un valide qui a ses deux jambes. Par contre au niveau technique, on n’a rien à envier à un joueur de deuxième ou de première série. Par exemple Judy Murray, la mère d’Andy, me dit tout le temps qu’elle est fan de mon service et qu’elle voudrait avoir le même. Après, ce qui serait bien, ça serait de se frotter aux personnes qui jouent en rollers étant donné qu’ils n’ont pas d’ancrage au sol et donc pas d’appui, comme nous en fauteuil roulant. Après ce qui est plutôt amusant face à des valides, c’est que quiconque qui vient jouer contre moi ce dit « Il faut que je joue gentil, il ne faut pas que je le fasse se déplacer ». Mais après plusieurs minutes, il commence à changer de stratégie sinon il va se prendre une raclée ! (rires)
Après plusieurs années passées sur le circuit, comment regardes-tu, avec du recul, ton parcours personnel ?
Je pense que « plaisir » serait le maître mot de mon parcours. Malgré mon accident, je prends beaucoup de plaisir à vivre au jour le jour. Je rencontre beaucoup de personnes passionnantes dans le monde entier. Je suis tellement passionné par ce que je fais, que je vais emmener ma fille de 14 ans avec moi sur le circuit pour la première fois, l’année prochaine, pendant un an. Elle va m’accompagner pour qu’elle puisse profiter de la richesse du voyage.
Propos recueillis par Nicolas TANNER – @Nicolas_Tanner
La rédaction d’Au Stade souhaite une belle fin de saison à Stéphane Houdet, et lui souhaite bonne chance pour représenter fièrement les couleurs Françaises à Rio cet été !
Crédits photo à la une: Mathys Cresson