Il est facile de résumer l’actualité du football français en une question: fallait-il arrêter et entériner la saison 2019-2020 du championnat de France de Ligue 1 à la 28e journée ? En effet, dans de nombreux pays européens, le football a repris ses droits pour des considérations essentiellement économiques alors que la France a rapidement décidé l’arrêt de ses compétitions. Pour certains, la décision prise par la LFP est celle du bon sens d’un point de vue sanitaire. Pourtant, pour d’autres, Jean-Michel Aulas en tête, cette décision a été prise trop hâtivement et pourrait creuser la tombe du football français si elle s’avérait maintenue. Pourtant, en privilégiant la santé avant l’argent, la LFP a réalisé un choix salvateur qu’il convient de saluer. Édito.
Arrêt de la Ligue 1: l’argument économique, un argument peu convaincant
L’argument économique est au centre de l’argumentaire des détracteurs de la décision de la LFP. En effet, même si les chiffres sont difficiles à évaluer, Jean-Michel Aulas évalue les pertes entre 700 et 900 millions d’euros pour les clubs tandis que Vincent Chaudel, directeur de l’Observatoire économique du sport, a évoqué quant à lui un montant de 500 millions d’euros. Ces pertes s’expliqueraient essentiellement au prisme de la situation d’une partie des droits tv et d’une partie de la billetterie. Les pertes sont bien réelles pour les clubs, et on ne peut le nier. Cependant, afin de remédier à cette situation, la LFP a d’ores et déjà obtenu un prêt garanti par l’Etat (PGE): ce prêt s’élève à environ 225 millions d’euros, soit l’équivalent de la somme d’argent qu’aurait dû verser BeIN SPORTS et Canal Plus quant aux droits tv de la fin de saison.
« Grâce à ce prêt, la LFP sera en mesure de verser aux clubs de Ligue 1 et Ligue 2 l’ensemble des sommes encore à percevoir au titre des droits audiovisuels pour la saison 2019-2020 », précise la Ligue. On peut donc estimer que les pertes économiques des clubs français seront limitées grâce à ces mesures. D’autant plus que les droits tv perçus par les clubs français devraient faire un bond de 60% la saison prochaine dans le cadre des accords conclus pour la période 2020-2024 – avec, au total, 1.15 milliard d’euros par saison. Ainsi, si la situation économique de nombreux clubs français comme Marseille, Lille, Saint-Etienne demeure préoccupante, cela est davantage dû à une mauvaise gestion structurelle que de la crise liée au Covid-19 à elle seule. Parmi les autres arguments en faveur de la reprise du championnat de Ligue 1, il existe deux arguments supplémentaires, plus moraux que e seul argument économique: l’équité sportive et la volonté d’offrir du spectacle au public.
L’argument fallacieux et subjectif de l’équité sportive
L’équité sportive fait partie des arguments les plus utilisés pour tenter de mettre en exergue la nécessité d’une reprise de la Ligue 1 voire tenter d’aller dans le sens d’une saison blanche qui reprendrait le classement de la saison précédente. En effet, de nombreux clubs s’estiment lésés en Ligue 1 et en Ligue 2 et ont par conséquent décidé de saisir le tribunal administratif de Paris et le Conseil d’Etat pour faire annuler la décision. Si le tribunal administratif s’est déclaré incompétent au profit du Conseil d’Etat, ce dernier traitera le recours déposé par l’Olympique Lyonnais le 4 juin 2020.
En effet, si les chances de l’OL de se qualifier en Ligue des champions ou du TFC de se maintenir semblaient très faibles, d’autres clubs comme Amiens, relégué, peuvent se sentir éminemment léser par la décision d’arrêter le championnat. Cependant, ce que conteste des clubs comme Amiens, ce n’est pas la décision même d’arrêter le championnat, mais plutôt la décision de maintenir les descentes: ce qui est intrinsèquement différent de la volonté de Jean-Michel Aulas de jouer des playoffs ou de reprendre le championnat. Ce sera donc au Conseil d’Etat de trancher si, au nom de l’équité sportive, il convient de revenir sur la décision de la LFP quant au championnat de Ligue 1.
Un spectacle peu flamboyant
Autre argument évoqué, la volonté d’offrir aux Français un spectacle afin de les aider à surmonter cette période difficile. Patrick Kanner, sénateur du Nord (PS), a ainsi déclaré: « Très honnêtement, je préférerais que les Français puissent regarder à la télévision des matchs de Ligue 1 plutôt que des matchs de la Bundesliga qui sont sûrement très intéressants…« . S’il est vrai que Sky Allemagne a battu ses records d’audience dans le cadre de la reprise de Bundesliga, il n’en reste pas moins que le spectacle proposé aux téléspectateurs est extrêmement médiocre.
En effet, depuis la reprise du championnat allemand, le spectacle se résume à des stades vides, sans bruit si ce ne sont ceux des contacts entre les joueurs et des consignes des entraîneurs résonnant dans les travées des enceintes. Sans oublier une entrée sans cérémonie ni musique, aucune poignée de main, pas d’enfants pour accompagner les joueurs et aucune montée d’adrénaline sonore lorsqu’un but est marqué. Sans oublier les 5 changements autorisés par match et par équipe qui modifient totalement la structure du jeu. D’ailleurs, l’argument du spectacle en appelle un autre, plus précisément un contre-argument: la mise en danger de la santé des joueurs.
Reprise de la Ligue 1: l’impossible mise en place des gestes barrières
Nul ne peut nier que le football, ou plus généralement les sports collectifs, semblent incompatibles avec les gestes barrières préconisés pour limiter les risques de contamination au coronavirus Covid-19. Il est en effet impossible de respecter les règles de distanciation sociale en football, sans oublier les risques de rassemblement qu’une reprise des compétitions, même à huis clos, peut engendrer – l’exemple du huitième de finale entre le PSG et Dortmund en est l’exemple éloquent.
Aussi, d’un point de vue purement médical, le professeur Wilhelm Bloch de l’École supérieure du sport de Cologne estime que le processus de reprise en Allemagne pourrait exposer les joueurs à des lésions pulmonaires « irréversibles » en cas d’infection au coronavirus. En effet, ses études ont démontré qu’en cas de contamination de sportif professionnel au Covid-19, le danger devient bel et bien mortel pour le sportif malade.
Reprendre la saison de Ligue 1, c’est mettre en péril la santé des joueurs
Le risque de blessures après plus deux mois d’arrêt constitue un argument central pour adouber la décision de la LFP. Didier Deschamps a d’ailleurs récemment parfaitement résumé le risque qu’encourant joueurs en cas de reprise de la Ligue 1: « Ça m’inquiète. Que l’on soit sélectionneur, entraîneur ou président d’un club, on a tous des intérêts propres à notre fonction. L’intégrité physique de mes joueurs constitue mon souci majeur. Certains à l’étranger vont reprendre la compétition sans avoir effectué une préparation complète », a-t-il ainsi indiqué dans les colonnes du Parisien.
Avant de poursuivre son analyse personnelle de la situation: « On a beau dire, pareil arrêt nécessite six semaines de remise à niveau agrémentées au minimum de cinq matchs amicaux. C’est loin d’être le cas. Ils vont enchaîner des rencontres tous les trois jours en été, avec des températures élevées. Le risque de blessure est accentué. Je dénonçais déjà des calendriers très chargés. Ça ne va pas s’arranger et ça s’annonce même encore plus sensible avec très peu de coupures à prévoir. Leurs organismes auront été très, très sollicités au moment d’aborder l’Euro 2021. » D’ailleurs, de manière peu ou prou provocante, on peut même s’interroger sur le fait de savoir si la décision d’arrêter la saison de Ligue 1 ne favorisera pas les clubs français lors de la prochaine saison avec des joueurs, plus frais que jamais, qui auront pu reprendre dans des conditions optimales, à l’inverse des autres grands championnats européens…
Crédits photo à la Une: Supporterhéninois