Alors que l’exclusion de Peter Sagan est encore dans toutes les têtes et que la polémique n’en finit plus d’enfler, les images de l’arrivée au sprint à Vittel, mardi, semblent sujettes à interprétions. Pourtant, et c’est bien là le problème; Peter Sagan ne devait pas être exclu du Tour de France 2017. Edito.
Non. Autant que cela soit clair dès le début. Y a-t-il vraiment eu un coup de coude de la part du slovaque de la Bora-Hansgrohe ? Là réside déjà le premier mystère. Car si les premiers visionnages semblaient discréditer Sagan, laissant penser à vitesse réelle à un coup de coude volontaire et grossier, au ralenti, avec la caméra de face, on se rend compte que le geste coupable de ce dernier interviendrait après un déséquilibre de Mark Cavendish.
A 280 mètres de la ligne, Alexander Kristoff est en tête de la course et file vers la victoire. A ce moment, Démare enclenche une accélération puissante. Le Picard semble être le plus impressionnant parmi tous les prétendants à la victoire au terme de cette quatrième étape. C’est pour cette raison que c’est sa roue que ses concurrents doivent prendre. Le problème est qu’au moment où il déborde Nacer Bouhanni sur sa droite, Peter Sagan et Mark Cavendish tentent de suivre son chemin et de prendre son aspiration. Le premier devance légèrement le second et Cavendish tente de passer à un endroit où il n’a aucune chance de passer. Sagan, lui, ne semble pas d’abord se rendre compte que le britannique tente de le déborder, et se déporte sur la droite de la route pour prendre la roue de Démare. Cavendish arrive donc à ce moment, pose sa tête sur l’épaule droite de Sagan, un frottement classique lors d’un sprint massif, image que l’on avait même pu voir lors de l’arrivée à Harrogate en 2014 lorsque… Cavendish (!) avait posé sa tête sur l’épaule de Gerrans, provoquant sa propre chute (et son abandon) et celle de l’australien. Ici, le sprinteur de la Dimension-Data se retrouve rapidement déséquilibré par ce frottement et avant même le geste du coude de Sagan, ne peut éviter la chute. C’est au moment de chuter que l’homme de l’île de Man paraît, avec la partie gauche de son guidon, accrocher le champion du monde qui, par réflexe, sort son coude et se maintient en selle de manière presque miraculeuse. Il n’empêche que là où il a fauté, c’est qu’il n’a pas tenu sa ligne, se déportant sur le couloir de Cavendish, provoquant sa chute et celles de deux dommages collatéraux, John Degenkolb (Trek-Segafredo) et Ben Swift (UAE Emirates).
Le mal aimé contre l’aimé de tous
Mais il serait trop simple de voir en cette affaire une simple action se disputant sur une demi-seconde. Car la tragédie de cette fin de quatrième étape se situe bien au-delà et elle voit s’affronter deux héros du cyclisme moderne: le mal aimé et l’aimé de tous. Et le problème vient du fait que la victime se trouve être le mal aimé et le coupable, l’aimé de tous. Terrible fin donc pour cette tragédie presque venue tout droit de la Grèce antique qui jette son rideau sur ses deux protagonistes, l’un avec l’omoplate fracturée, l’autre avec la réputation abîmée. Le temps des clans est venu, deux clans bien distincts: les supporters du Cav et ceux de Sagan. Et toujours le même souci à situer le débat, car le fautif, nous le connaissons, c’est le slovaque. Mais le vrai débat se situe sur son exclusion que beaucoup trouvent imméritée.
Ainsi, même au sein du peloton, les avis divergent. L’équipe Bora-Hansgrohe et l’équipe Dimension-Data soutiennent corps et âme leur leader respectif tandis que Greipel hésite, charge le slovaque avant de s’excuser auprès de lui et de changer d’avis, trouvant son exclusion « trop dure ». Il semblerait tout de même que les « anciens », ceux qui finalement ont plus connu Cavendish que Sagan, prennent la défense de ce dernier, n’achevant cependant pas un débat qui appelle à faire date. Car désormais, la quatrième étape du Tour de France 2017 est une référence, ou plutôt un précédant créé par les commissaires du jury. Que décideront-t-ils au prochain frottement lors d’un sprint massif, peut-être dès l’arrivée à Troyes ce jeudi ? Devront-ils être toujours aussi durs pour ne pas faire de deux poids deux mesures ? Sagan exclu pour un écart volontaire mais sans intention de provoquer la chute, nul doute que les prochains fautifs ne pourront échapper à pareille sentence…
Un chaos ambiant
Et finalement, dans ce marasme, ce chaos ambiant, les passionnés préfèrent se tourner vers le passé plutôt que de penser au futur, ressortant une perle, un dossier brûlant du Tour de France 2013: lors de la dixième étape, à l’arrivée à Saint-Malo, Cavendish avait violemment percuté Tom Veelers, poisson-pilote d’un Marcel Kittel victorieux ce jour-là, qu’il avait tout le loisir d’éviter, ayant champ libre devant lui. Il n’y avait rien eu contre le Britannique, troisième de l’étape, pas même un déclassement qui s’avérait pourtant nécessaire. Le lendemain, c’est le public qui lui avait maladroitement fait son procès en lui jetant de l’urine lors du contre-la-montre entre Avranches et le Mont Saint-Michel. Hier, c’est le jury qui a tranché sur le cas Sagan, un jugement très dur et lourd en conséquences, une exclusion là où un déclassement aurait dû être privilégié car loin de là l’idée de faire tomber Cavendish était venue germer dans la tête du vainqueur de la troisième étape à Longwy, lundi. Un geste brusque, involontaire, mal interprété, et voilà Sagan dehors. Reste à savoir quel procès public aura le double champion du monde en titre qui a divisé ses supporteurs hier. C’est l’histoire du cyclisme qui s’est malheureusement écrite ainsi au travers d’une seule histoire qui ne sera jamais tranchée définitivement dans vingt, trente voire même quarante ans. Ce jeudi sur les coups de 17 heures, c’est à Troyes que les sprinteurs devront passer à autre chose. Attention, aucun écart ne sera permis…
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