On les comptes par centaines, par milliers même sur le bord des routes durant les 3 semaines du Tour de France, sur les étapes de plat, un peu, sur les étapes de montagne, beaucoup, à la folie même, jusqu’au point de recouvrir les montagnes de petites taches blanches. On parle évidemment des camping-cars, mode de déplacement le plus répandu chez les passionnés qui suivent le Tour de France tous les ans, sur plusieurs jours, en provenance du monde entier. Alors pourquoi de plus en plus de personnes optent pour le camping-car sur le Tour ? Immersion dans ce monde de passionnés.
Un concept de vacances idéal, entre cyclisme et tourisme, qui n’attire pas seulement des passionnés de la petite reine
Ce n’est pas nouveau, le Tour de France cycliste est devenu au fil de son histoire le plus grand évènement sportif annuel au monde, avec selon les sources et les cuvées, entre 12 et 15 millions de personnes recensées sur le bord des routes. Mais alors, qui sont tous ces gens ? Viennent t-ils uniquement pour voir passer la course ou y a-t’il autre chose qui explique ce fou succès populaire ? Commençons par analyser les chiffres de la fréquentation du Tour, fournis par l’organisateur Amaury Sport Organisation, qui mènent la vie dure aux “clichés” sur les évènements sportifs, souvent qualifiés de “masculins” (regarder le taux de féminisation des tribunes en football), “élitiste” (c’est quand la dernière fois que vous avez regardé le prix d’entrée à Wimbledon ou un Grand Prix de F1 ?), voire “vieillot”…
– 65 % d’hommes et 35 % de femmes : comme quoi, même si le vélo reste comme la plupart des sports suivi en majorité par les hommes, 3,5/10 des spectateurs sur le bord de la route sont des femmes. On ne laisse pas partir monsieur tout seul, non mais !
– 55 % de moins de 50 ans et 12% de moins de 15 ans : ce n’est donc pas un évènement réservé “aux vieux” bien au contraire, et on y trouve donc même une belle proportions d’enfants, attirés il est vrai pas la caravane publicitaire et les “goodies” qu’ils pourraient récupérer (casquettes, tee-shirt, porte-clé, saucisson, etc.)
– 80 % de spectateurs français, 20 % de spectateurs étrangers : si le Tour est avant tout un évènement qui rassemble la France et les français, de plus en plus de spectateurs viennent désormais de toute l’Europe et même des 4 continents : sur l’édition 2014, une enquêtes à recensée pas moins de 38 nationalités différentes sur le bord de la route ! L’internationalisation du cyclisme n’y est pas pour rien, car aujourd’hui les top coureurs viennent de tous les continents (Amérique du Sud pour Quintana, origines Kényanes pour Froome, Amérique du Nord pour Van Garderen, Océanie pour Porte, en plus de l’Europe traditionnelle des Contador, Nibali ou Pinot)
– 6h45 : le temps moyen passé sur le bord de la route par les spectateurs / durée qui monte à 9h22 sur une étape de montagne : c’est un évènement où l’on passe du temps, voire beaucoup de temps, notamment à attendre le passage des coureurs ! Mieux vaut donc être bien entouré : c’est pourquoi 95 % des personnes viennent accompagnés (famille, amis), et surtout bien équipé ! Et pour cela, quoi de mieux que ce bon vieux camping-car ?
Car il faut l’avouer, bien que le cyclisme soit un sport – très – populaire, sur les millions de personnes qui se pressent sur le bord des routes en juillet toutes ne sont pas des férues de la petite reine. Mais ce n’est pas grave, car pendant le Tour, chacun peut trouver une raison de s’installer sur le bas-côté à attendre le passage des coureurs : les amateurs des coureurs et de la courses attendent le passage de leur chouchou pour lequel ils ont acheté la tenue complète (d’ailleurs le maillot les boudine un peu) et enduisent le goudron de peinture fraîche ; les enfants et les grands enfants attendent le passage de la caravane du tour ; enfin certains sont là pour profiter du paysage, de la montagne, de son air pur et du temps qui semble s’arrêter.
Comme ce couple de belges rencontrés au détour d’une tireuse à bières (oui oui !) – installée au sommet du Plateau-de-Beille par le comité des fêtes du village d’Albiès -, qui viennent sur le Tour depuis 1961 et qui racontent ” on est arrivés ici (Plateau-de-Beille) vendredi dernier, mais on est bien là : regardez la vue autour de vous, c’est superbe, on se réveille le matin avec ça, ça nous change de la ville à Bruxelles ! La journée, on monte jusqu’au sommet où sera installée la ligne d’arrivée, on regarde les gens se promener, on fait des rencontres, et on prend l’apéro tous ensembles”. Vu comme ça, le Tour de France ressemble un peu à un épisode de Camping Paradis, ne manque plus que Laurent Ournac. Mais si les gens aiment tant le tour c’est bel et bien pour ça : pour se retrouver, en vacances, loin de chez eux et de leurs tracas : sur le bord de la route, tout le monde se ressemble, jeunes, moins jeunes, retraités, étudiants, avocats, chômeurs : torse nue, en short et en espadrilles, un gobelet à la main et les boules de pétanque dans l’autre, la mixité sociale, la vraie.
Des camping-caristes venus du monde entier, comme à l’Alpe d’Huez
Il existe deux types de camping caristes sur le Tour de France : ceux qui s’installent à un point précis et stratégique de la course (souvent en haute montagne) et y attendent les coureurs pendant plusieurs jours, et ceux qui, plutôt que de suivre la course tranquillement à la télévision préfèrent se déplacer chaque jour sur le terrain pour suivre l’étape au plus près de leurs idoles. C’est ce phénomène qui explique que chaque soir, à proximité des cols empruntés le lendemain par les coureurs, des centaines de camping-car empruntent les mêmes routes sinueuses pour rejoindre les cimes. Pour tous ceux-là, pas la peine espérer trouver une place de choix aux abords du sommet ou dans les pentes les plus pentues (toujours les plus prisées car elles assurent aux spectateurs de voir passer les coureurs à vitesse réduite) : celles-ci étant déjà occupées et réservées depuis des jours. Non pour eux une seule solution : se garer en bas du col et faire la montée à vélo ou à pieds pour s’installer le matin de la course. Ainsi dès le petit matin, c’est le balais incessant des cyclistes et marcheurs, glacières et chaises longues à la main, lancés à la quête de l’endroit où ils s’installeront pour passer la journée à attendre les coureurs. C’est là que la caravane du Tour trouve tout son sens, car le fait de choper un saucisson Cochonou au vol permet de tuer un peu le temps et de remplir l’estomac…
Ceux qui ont pris leurs dispositions et se sont installés plusieurs jours à l’avancent n’ont pas ce problème. C’est notamment le cas pour l’Alpe d’Huez et ses fameux 21 lacets, dernier épisode du roman à suspens de la Grande Boucle de cette année – quoi que le cru 2015 en aura cruellement manqué, la faute à la suprématie de Chris Froome et de son équipe Sky, ainsi qu’au manque d’audace et/ou à la relative méforme de ses principaux concurrents Quintana, Contador, Valverde et Nibali -. Sur les 13.8 km de la montée à 7.9% de moyenne, plus de 500 000 personnes s’y sont massées, dont une traditionnelle forte colonie batave, ravie de la 6ème place de leur réprésenant Robert Gesink. Sur place, on continue de parler avec notre couple de Belges préférés, avec qui nous nous lamentons sur le fait qu’aucun coureur français ni belge ne semble encore en mesure de remporter la Grande Boucle pour encore un bon moment (bien qu’ils nous assurent que le jeune Tim Wellens de la Lotto, 22 ans, soit un futur crack, ce à quoi on lui répond que Romain Bardet, Thibaut Pinot et Warren Barguil ont chacun “2 Willems dans chaque jambes”…Le chauvinisme a de beaux jours devant lui).
Au fil de la discussion, ils nous confient leur ressenti sur ce qui a changé sur le bord des routes au cour des dernières décennies : “en 53 ans, on a vu changé pas mal de choses, et notamment les habitudes des gens. Avant, en arrivant la veille cela suffisait car il n’y avait personne en haut des cols, et on allait où on voulait avec notre camping-car…Progressivement, les Belges comme nous et les Hollandais ont commencé à envahir les montagnes avec leurs véhicules, caravanes puis camping-cars… Désormais il faut venir plusieurs jours à l’avance, et connaitre les lieux pour trouver les bons plans !”. Au cours de tous leurs périples, nos amis belges ont appris à découvrir le pays grâce au Tour : “Je connais la France aussi bien que la Belgique, voire même mieux : dès qu’on croise une ruine, je cherche à savoir ce que c’est !”. Sur le Tour, on se fait aussi des amis, qu’on prend plaisir à retrouver chaque année au mois de juillet, et certains réservent même une place pour le camping-car de leurs amis retardataires (avec rubalise et tout et tout…), ce qui engendre parfois des situation cocasses avec certains automobilistes campeurs qui ont du mal avec la solidarité des camping-caristes…
Au fil des 21 lacets de l’Alphe d’Huez, chacun joue donc des coudes pour avoir une place de choix dans cette ascension mythique, véritable arène du vélo, car s’il y avait bien une étape à ne pas manquer pour cette édition 2015 c’était bien celle-ci. Aux abords du virage numéro 17, nous prenons place, et observons le no-man’s-land autour de nous : des gens par centaines, par milliers, arrivés depuis plusieurs jours déjà (les camping-car n’ont plus le droit de monter depuis déjà 2 jours !) et qui ont transformés la montagne en véritable club de vacances à ciel ouvert. Devant nous, des cyclistes du dimanche se prennent pour Nairo Quintana ou Vicenzo Nibali et se mesurent au 13,8km de la montée. On en a comptés près de 3000 en une heure, puis on a arrêté de compter…Une heure avant le passage de la caravane du Tour, tout le monde doit mettre pied à terre et se ranger sur le bord de la route, et les gendarmes postés le long des 21 virages se lancent à la poursuite des coureurs rebelles tel Lucky Luke contre les Daltons…Même pour nous, simples “piétons” il est difficile de faire son trou au milieu des centaines de milliers de supporters, car le moindre mètre carré de goudron est jalousement défendu (regard de travers en prime) par son propriétaire : si certains s’aventurent sur le territoire des autres, l’ambiance se crispe et le ton monte ! A l’Alpe d’Huez, la tradition veut que chaque nationalité de supporter prenne possession d’un des 21 virage de l’Alpe. Dans le virage n°20, ça sent bon les balkans : des drapeaux tchèques pour Kreuziger sont dressés à côtés des slovaques pour Peter Sagan. Sur les autres, la répartition est un peu plus folklorique : belges, hollandais, britanniques (de plus en plus nombreux depuis la victoire de Wiggins et qui supportent désormais Froome et la Sky) se mélangent les virages suivant dans un joyeux bordel bien rythmé. Sur le virage n°15, on se croirait à la fête de la bière à Munich : les pompes à bières sont affutées, les déguisements les plus cocasses sont de sortie (il n’est pas rare de croiser une poupée gonflable), et il y règne une douce folie contagieuse, où chaque nationalité redouble d’ingéniosité pour faire le buzz lors du passage de la course ! Au virage n°14, c’est toute la Colombie qui attend Nairo Quintana et tout les autres scarabées colombiens et tout y est : asphalte peinte aux couleurs nationales jaune-bleu-rouge, musique sud-américaine et perruques à l’effigie de Carlos Valderrama…
Un peu plus d’une heure plus tard, la caravane et les 160 rescapés du Tour sont passés. En haut de l’Alpe, Chris Froome vient de remporter son second Tour de France mais pour les centaines de milliers de personnes massées le long du col, les réjouissances ne sont pas encore terminées. Les camping-cars n’ayant le droit de reprendre la route que le lendemain matin pour ne pas engorger la vallée, tout ce petit monde reste encore une nuit sur place et prend la chose avec le sourire, trop heureux de profiter de cette grande fête une soirée de plus en attendant l’édition 2016…Nous l’an prochain, promis on investit dans un camping-car, car la tente c’est plus de notre âge !