Le Tour de France peut-il devenir impopulaire ? Telles est la crainte de l’organisation, alors que l’équipe Sky s’est imposée cinq fois lors des six dernières éditions en utilisant une méthodologie favorisant très peu le spectacle. Comment éviter alors de revoir systématiquement un train contrôler la course et imposer un tempo de folie à l’avant du peloton, réduisant à néant toute velléité de révolte ? Après avoir réduit le nombre de coureurs de neuf à huit par équipe la saison passée, les instances du cyclisme réfléchissent désormais à s’attaquer aux capteurs de puissance. Ces bijoux de technologie, dont se servent les coureurs pour calibrer et réguler au watt près leurs efforts, sont accusés d’être les fossoyeurs du spectacle dans le cyclisme. À tort ou à raison ?
Comment réinventer le Tour de France et réinsérer du suspense dans une course de plus en plus cadenassée et de moins en moins spectaculaire ? Christian Prudhomme, le directeur de course, se sait attendu sur ce terrain. Le Tour est une fête et ce dernier a été marqué par les critiques venant d’un public endormi par la mainmise de la Sky sur la course depuis quelques années et déçu du manque de suspense. Pour M.Prudhomme, le responsable est tout trouvé: les capteurs de puissance. Le Français milite depuis quelques années désormais pour les interdire les jours de course afin de stimuler l’instinct des coureurs dans l’objectif de dynamiser la course.
« Il faut que le bluff puisse à nouveau exister« , déclarait Christian Prudhomme durant le dernier Tour de France. « Les capteurs de puissance peuvent très bien être utilisés à l’entraînement, néanmoins en course, pour la dynamiser et y rétablir de l’incertitude, il faut les interdire« . Cependant, dans sa croisade contre ce symbole du cyclisme moderne, le patron du Tour est-il soutenu ? Si de nombreux observateurs regrettent cette évolution vers des courses robotisées et des efforts calibrés au watt près, nombre d’entre eux émettent également des doutes quant à la proposition du Français d’interdire les capteurs de puissance en course.
Des équipes et des coureurs loin d’être tous convaincus
Peu sont les équipes ou les coureurs à ne pas s’être mis à la page en refusant d’utiliser un capteur de puissance. Ce dernier est devenu pour les coureurs un outil indispensable à l’entraînement et en course afin de gérer de manière plus optimale leurs efforts. Beaucoup notent d’ailleurs que les capteurs de puissance restent majoritairement utilisés comme des outils de confirmation. Les coureurs intériorisent aujourd’hui de mieux en mieux leurs limites et les réactions de leur corps à l’effort, d’autant plus que les conditions d’entraînements sont aujourd’hui plus sophistiquées. Les capteurs de puissance ne serviraient alors que de support visuels pour confirmer les sensations du coureur et éviter des erreurs d’interprétation liées à l’adrénaline de la course ou une fausse impression sur le moment.
Par ailleurs, la majorité des coureurs affirme que les capteurs de puissance ne disposent pas de pouvoir de coercition sur le cerveau humain. Alors pourquoi être si sceptique à l’idée de les interdire en course ? Sur son vélo, le coureur conserve son instinct et le capteur de puissance lui sert alors de base de données pour séquencer au mieux une éventuelle attaque. Car, en effet, à quoi bon supprimer les capteurs de puissance si un coureur ne parvient pas à gérer son attaque et explose quelques hectomètres plus tard ? « Vous savez, les chiffres et le staff dans la voiture ne contrôlent pas le coureur, expliquait Philippe Mauduit, l’actuel directeur sportif du Team UAE-Emirates, au site spécialisé Cyclism’actu. « On ne joue pas à la PlayStation dans les voitures, les coureurs la jouent aussi à l’instinct« . D’autant plus que pour beaucoup, ces capteurs permettent de moderniser le cyclisme et de le professionnaliser encore plus. Pour Baptiste Allaire, journaliste sur le site spécialisé Chronique du Vélo, la cyclisme a toujours été un sport « assez conservateur« . Les nouvelles technologies ont toujours été accompagnées de commentaires négatifs au moment de leur développement, et cela ne date pas d’hier. Par exemple, ce même journaliste note avec pertinence que l’utilisation d’un guidon de triathlète par le vainqueur du Tour Greg Lemond en 1989 avait été très mal perçue, d’autant plus que cette nouveauté avait permis à l’américain de s’imposer devant le français Laurent Fignon pour huit petites secondes.
Ainsi, comme dans le football avec l’arrivée récente de la VAR, l’apport de la technologie n’emballe pas tous les acteurs, dont certains regrettent amèrement la perte d’aléatoire qu’impliquent de telles modernités, ou tout simplement le fait que le cerveau du sportif soit désormais controlé par la machine. Ainsi, Alberto Contador regrattait récemment le côté sacro-saint donné par les coureurs à leur capteur de puissance: « Si vous montez un col et que vous savez que vous ne pouvez pas aller au-delà des 400 watts, quand Sky imprime le rythme et que vous êtes à 400 watts, vous n’attaquerez pas parce que vous penserez exploser deux kilomètres plus loin. Mais si vous ne voyez pas les chiffres, vos sensations pourraient vous amener à attaquer. » Pour l’Espagnol, les coureurs sont même devenus esclaves de leur capteur de puissance, et ne se fient plus qu’à lui au moment d’évaluer leur performance. Comme quoi le débat est loin d’être clos.
Quid de l’UCI ?
Dans ce débat, l’Union Cycliste Internationale (UCI) va-t-elle avoir le dernier mot ? C’est en effet cette instance qui édicte les règlements des disciplines du cyclisme et intervient sur le plan du matériel. Dernièrement, son président David Lappartient a plutôt adopté la position de Christian Prudhomme en se montrant sceptique sur l’utilisation faites par les coureurs de ces capteurs. « Je n’ai jamais caché que j’étais défavorable, non pas à l’utilisation des capteurs de puissance, mais que les coureurs puissent lire en direct les données pendant la course« , a-t-il ainsi déclaré.
Néanmoins, il reste peu probable que l’UCI décide unilatéralement de réguler le nombre de données disponibles sur les capteurs en course ou plus simplement d’interdire leur utilisation. Cela serait très mal perçu par les coureurs et les équipes et s’apparenterait à un suicide politique pour David Lappartient. Ainsi, l’UCI veut-elle promouvoir le dialogue dans ce débat. « On a convenu qu’on ferait un groupe de travail à propos de l’attractivité de nos courses. Ça fait partie des pistes sur lesquelles nous allons travailler« . Un groupe de travail qui pourrait englober directeurs de courses, coureurs, staffs techniques, directeurs d’équipes et fédérations. Un travail titanesque attend l’UCI, dont la décision sera scrutée par tous les amoureux du vélo qui, pour les plus nostalgiques, attendent une très grande fermeté de la part de l’institution. Une éventuelle interdiction qui ne pourrait pas intervenir avant 2020 dans tous les cas, car l’UCI ne peut changer les règlements en cours d’année. Le Tour de France 2019 sera-t-il le dernier des capteurs de puissance ? Affaire à suivre…
L’avis de la rédaction
Dans ce dossier, le débat semble loin d’être clos. Néanmoins, les plus fervents défenseurs d’un cyclisme à taille humaine et débarrassé de gadgets nuisant au spectacle devront revoir leur copie. La pure et simple interdiction des capteurs de puissance ne suffira pas et pourrait même creuser un fossé entre organisateurs et coureurs. D’autres thèmes récurrents devront aussi être discutés, tels que l’utilisation d’oreillettes entre coureurs et staff technique dans la voiture par exemple. Pour dynamiter les courses, les organisateurs du Tour notamment, réfléchissent également à redonner du relief aux sprints bonus, tout particulièrement en haute et moyenne montagne. L’idée serait de « récompenser les attaquants » selon Christian Prudhomme, en revalorisant au sommet des cols ou des difficultés répertoriées les bonifications offertes (elles étaient de 1, 2 et 3 secondes en 2018 et pourraient être revalorisées à 4, 6 et 10 secondes dès cette année). Des tractations qui montrent plus globalement que le cyclisme restera toujours un sport à part.
Crédits photo à la Une: © Günter Seggebäing, CC BY-SA 3.0