« On savait qu’on allait se faire détester ». À défaut d’être consensuelle, la déclaration de Lionel Maltese, responsable du développement à la Fédération Française de Tennis (FFT), a le mérite d’être franche. Deuxième levée du Grand Chelem de l’année, le tournoi de Roland-Garros est aujourd’hui décalé du 20 septembre au 4 octobre prochain. La FFT a annoncé le report de la quinzaine, initialement programmée à partir du 24 mai, à cause de la pandémie mondiale de coronavirus. Ainsi, ce déménagement précipité, dans le cadre d’un calendrier chamboulé, fait grincer les dents de nombreux protagonistes du tennis mondial. Pourtant, Roland-Garros demeure, au-delà de son aspect purement sportif, un véritable enjeu pour la viabilité de l’ensemble du tennis français.
Une décision unilatérale
C’est pour des raisons météorologiques que Bernard Giudicelli justifie le choix de déplacer Roland-Garros en septembre. « A cette période, ce sera l’été indien. Nous aurons des atouts supplémentaires avec le toit sur le court Philippe-Chatrier », s’est avancé le président de la FFT. La décision de « planter son drapeau » semble approuvée par Andrea Gaudenzi, patron de l’ATP depuis le 1er janvier 2020. Néanmoins, ce passage en force est une source de tension au sein des instances internationales du tennis. La décision française a mis les organisateurs de l’US Open devant le fait accompli. Les Américains n’envisagent pas pour le moment de déplacer le tournoi new-yorkais. Cependant, ils ont exprimé dans un communiqué leur contrariété « au moment où le monde est uni, nous estimons qu’une telle décision ne peut être prise unilatéralement ». La fin programmée de l’US Open, une semaine avant Roland-Garros, leur enlève il est vrai une certaine marge de manœuvre pour le reprogrammer. Quand on connaît la gravité de l’épidémie de Covid-19 dans la ville de New-York, on peut être inquiet.
Autre interrogation: Roland-Garros ou la Laver Cup ? Les joueurs devront-ils choisir ? L’exhibition organisée par Toni Godsik, agent de Roger Federer, n’a pas l’intention de se retirer du jeu… Enfin, par effet boule de neige, les autres tournois ATP et WTA prévus à cette période risqueraient d’être affectés. Les organisateurs du tournoi de Metz (ATP 250) ont déjà actés l’annulation de leur évènement. Des syndicats de joueurs régissent le tennis professionnel et ceux-ci n’apprécient guère de ne pas être consultés lors de décisions importantes.
Roland-Garros sous le feu des critiques
D’un tweet acerbe, « trouvez-moi un joueur qui connaissait cette décision », le suisse Stanislas Wawrinka, vainqueur de l’édition 2015, a taclé le choix de la FFT. Le Canadien Vaceck Pospisil, membre du conseil des joueurs, s’est montré encore plus virulent en tweetant, « c’est une décision arrogante, irresponsable et égoïste. Le monde est dans un état catastrophique, […], il serait important qu’il y ait plus de communication ».
En revanche, d’autres acteurs influents dans le milieu de la balle jaune défendent le choix de la fédération française. « Certaines personnes ont fait part de leur étonnement de ne pas avoir été consultées. Mais si j’avais été à la place de Roland-Garros, je n’aurais consulté personne non plus », s’est ainsi positionné Toni Nadal, interrogé par le Mundo Deportivo. Si l’ATP a d’abord misé sur une reprise de son circuit en juillet, elle étudie à présent les possibilités de réorganiser le calendrier à partir de l’US Open. Ceci étant, les incertitudes liées à l’évolution de l’épidémie ne laissent rien présager de bon. Toutes les options sont sur la table, y compris une saison totalement blanche.
Roland-Garros, un enjeu économique
Côté porte d’Auteuil, les travaux de modernisation du complexe n’ont jamais cessé depuis le début du confinement. Si les équipes opérationnelles sont réduites au minimum pour la santé des travailleurs, les ouvriers présents continuent d’avancer sur les réglages du toit du court Philippe-Chatrier. C’est bien la preuve que Roland-Garros n’est pas seulement la vitrine du tennis français, il est également sa principale source de revenus; sur les 325 millions d’euros du budget total de la FFT en 2019, 260 millions d’euros sont issus de l’activité du tournoi francilien. L’an dernier, les recettes ont permis de dégager une marge brute d’autofinancement de 100 millions d’euros. Les ligues régionales et les comités sont extrêmement dépendants de la dotation fédérale globale (23 millions d’euros en 2019) qui représente en moyenne 50 % de leur budget.
Une saison blanche aurait des conséquences importantes pour le tennis, à la fois national et local. Toutefois, si Roland-Garros a bien lieu en 2021, cela pourrait permettre « d’éviter un coup d’arrêt » selon Lionel Ollinger, président de la Ligue Grand-Est. Autrement, des baisses d’effectifs pourraient être envisagées. Le chômage partiel mis en place par l’Etat permet pour l’instant aux instances de préserver leur trésorerie, la totalité des subventions 2020 ayant déjà été versée. Mais en cas d’annulation définitive restera l’option du prêt bancaire. Cependant, le coût des travaux de rénovation s’élève à 380 millions d’euros, les recettes de Roland-Garros devaient permettre de le financer en large partie. Pourtant, l’optimisme demeure au sein de la fédération qui bénéficie d’un excédent de 15 millions d’euros en 2019. Qui plus est; il est vrai que les bonnes relations entretenues par la FFT avec ses partenaires bancaires rassurent. A la vue de ces éléments, les 985 000 licenciés que compte le tennis français peuvent, pour le moment, dormir sur les deux oreilles.
Crédits photo à la Une: Ji-Elle