Le 14 février dernier, Christopher Froome a fait une rentrée remarquée sur la Ruta del Sol, sa première course depuis la révélation de son contrôle anormal sur la dernière Vuelta qu’il avait remportée. Alors que l’enquête suit son cours et que le Britannique prépare une défense en béton, le cyclisme ne semble plus avoir la même saveur depuis cette révélation. Pendant ce temps, Tirreno-Adriatico débute ce mercredi, avec le coureur du Team Sky au départ.
La course d’après
Chris Froome n’aime pas les habitudes. Chaque année, il essaie de varier ses courses de reprise en février. Mais il connaît bien l’Andalousie pour s’y être imposé sans forcer en 2015. C’était il y a trois ans déjà et depuis, les choses ont changé. Le Britannique est désormais quadruple vainqueur de la Grande Boucle et a remporté une Vuelta. Néanmoins, Froome peut en être sûr, il n’y aura plus d’habitudes pour lui, plus de quotidien monotone. S’il venait à être convaincu de dopage sur le dernier Tour d’Espagne, où il affichait un taux anormalement élevé de salbutamol lors d’un contrôle après la 18e étape, le leader de la Sky verrait sa carrière s’arrêter nette, brisée en mille morceaux avec une crédibilité nulle jusqu’à la fin de sa vie.
C’est pour cela qu’il joue quelque peu sa vie lors d’un procès qui s’annonce électrique et important non pas seulement pour lui et son équipe mais pour le cyclisme également. Alors que Froome prépare une défense quitte ou double, la Sky enchaîne les victoires en ce début de saison. Wout Poels a même fini deuxième de la Ruta del Sol derrière Tim Wellens tandis que Froome a pris une correcte dixième place pour une course de rentrée. Tous les yeux sont braqués sur lui, des yeux curieux aux yeux pensifs, tous les coureurs ont un avis sur le cas du Britannique mais tous ne veulent pas forcément l’exprimer de manière directe. Peu importe, inutile de sentir qu’il y a une gêne dans le peloton comme si l’équipe Sky ne pouvait plus paraître aussi innocente qu’auparavant tout en traînant dans sa roue un champion sur le point d’être déchu, si ce n’est pas déjà le cas.
Comme si de rien n’était
Un contrôle anormal, une révélation tardive, une enquête en cours et une décision qui n’a toujours pas été prise par l’UCI: comment est-ce alors possible que Chris Froome ait eu l’autorisation de courir en Andalousie ? Un champion est défendable tant qu’il n’est pas pris. Il a le bénéfice du doute, ou bien le bénéfice de l’espoir que ce sport progresse, qu’il va mieux, que les années noires scandaleuses sont derrière lui. Un quadruple vainqueur de la plus grande course du monde ne peut être pris la main dans le sac. Et pourtant, l’espoir ne semble faire vivre que les naïfs. Quand est-ce que les vrais coureurs cyclistes, et il y en a par dizaine dans le peloton actuel, pourront pleinement exprimer leur passion et assouvir leur désir de pratiquer un sport dans une concurrence saine ?

La course contre-la-montre pour faire reconnaître son innocence continue pour Froome. Crédits: PXHERE.com
Au lieu de cela, l’UCI se prend les pieds dans le tapis et envoie une piètre image sur la gestion du cas Froome. Sans les informations du Monde et du Guardian, nous ne serions peut-être toujours pas au courant du contrôle anormal du Britannique. Trois mois, c’est le temps qui s’est écoulé entre le contrôle et la révélation. Au moment de courir l’épreuve du contre-la-montre aux championnats du monde de Bergen, qu’il a terminé à la troisième place, Froome était déjà au courant des résultats anormaux. On comprend mieux pourquoi certains coureurs furent surpris et déçus de ce manque de transparence, comme si l’UCI avait voulu couvrir celui dont la suite de la carrière est désormais en suspend. Son autorisation à courir en Andalousie a divisé le monde du cyclisme. Mais il est vrai que la présence de Froome y était gênante, celui-ci attirant l’attention des médias au détriment des autres coureurs. Pour des doses moindres de salbutamol dans le sang, Diego Ulissi notamment avait pris neuf mois de suspension sans pour autant que la Lampre-Merida ne rompt son contrat.
Croisons les doigts pour l’avenir du cyclisme
Voir courir Froome sur le Giro ou le prochain Tour de France ne serait pas excitant. Un coureur dont le contrôle est aussi anormalement élevé pourrait se faire lyncher en place publique lors de ses prochaines courses. Sa cote n’était déjà pas très élevée en France, autant dire qu’elle risque de descendre encore plus. Peut-être qu’il serait pour son bien de ne plus courir la Grande Boucle. Le cyclisme a besoin d’une proximité entre ses champions et le public, c’est ce qui fait sa force. Froome ne semble plus en capacité d’assurer ce lien, une autre victoire sur le Tour finirait par agacer si ce n’est pas déjà fait. La Sky joue avec le feu et les limites du règlement. Sur la dernière Vuelta, cela n’est pas passé, Froome étant contrôlé avec le double de la limite de salbutamol autorisé dans le sang, ce qui est très excessif. Le cyclisme en a pris un gros coup sur la tête. Le dopage ne sera jamais vraiment convaincu car le cas de Froome ne peut être comparé à celui d’Armstrong.
Ce dernier s’était dopé volontairement alors que dans le cas du Britannique, on est plus sur un rapport de force jusqu’au-boutiste avec les règles pour maximiser la performance sans dépasser la limite autorisée, ce qui n’a visiblement pas très bien marché en Espagne. Cependant, est-ce cela le cyclisme moderne ? Une vision de la performance exacerbée, un goût pour de le détail extravagant qui conduit à chercher le millième de seconde dans un maillot, des têtes rivées sur un capteur de performance, une main aimantée à l’oreillette, un jonglage enflammé avec les limites imposées par le règlement: y a-t-il seulement une place pour le plaisir que peut procurer le cyclisme ? Ou bien n’est-ce finalement qu’une concurrence sans borne avec pour unique but de satisfaire le ventre d’ogres affamés ? Quoi qu’il en soit, la gestion du cas Froome par l’UCI, jouant la carte du sifflement comme si de rien n’était donne une très mauvaise image au cyclisme et ne fait au final que triompher une vision calculatrice sans saveur de ce sport.
Crédits photo à la Une: Mathilde L’Azou