Au terme d’une course qui s’est une nouvelle fois jouée sur la fin, Vincenzo Nibali a surpris tout le monde pour remporter Milan-San Remo, devançant les sprinters. Le Français Arnaud Démare, vainqueur en 2016, termine sur le podium, à la troisième place.
Nibali a encore faim
A 33 ans, le Requin de Messine n’est toujours pas rassasié. Sur une course où les puncheurs et les sprinters se livrent toujours une dure bataille pour la gagne, les dernières éditions étaient plutôt à l’avantage des sprinteurs. Sur les dix dernières éditions, seuls Fabian Cancellara (2008), Simon Gerrans (2012) et Michal Kwiatkowski (2017) avaient dompté la loi des finisseurs. Samedi dernier, c’est finalement une énorme surprise qui a levé les bras à San Remo. Quadruple vainqueur de grands tours et double vainqueur d’un autre Monument, le Tour de Lombardie (2015 et 2017), Vincenzo Nibali a rajouté la troisième grande course italienne qui manquait à son palmarès, la Primavera. Il n’y a pas eu de surprise jusque dans le final. L’échappée a été maîtrisée par les équipes de sprinters et c’est finalement à dix kilomètres de l’arrivée que la course a pris un autre tournant. C’est à ce moment-là que Mark Cavendish, vainqueur en 2009, a effectué un soleil après avoir pris le risque de passer sur un terre-plein, une chute impressionnante qui n’a pas eu de répercussions graves sur le britannique hormis une côte cassée. A quelques encablures du Poggio, Cavendish a une nouvelle fois été victime de malchance, lui qui a déjà chuté plusieurs fois depuis le début de la saison. Jempy Drucker a été le premier à attaquer franchement avant d’être repris par un contre de Krists Neilands, suivi dans sa roue par Vincenzo Nibali.
C’est à ce moment que le show Nibali a débuté. L’italien a d’abord attaqué Neilands juste avant de basculer pour pouvoir être seul dans la descente, un exercice qu’il affectionne particulièrement. Le Requin de Messine n’a pas eu de mal à se débarrasser du champion national letton puis a basculé avec dix secondes d’avance sur le peloton. Les six derniers kilomètres ont été l’occasion d’un mano à mano intense entre l’homme seul en tête et le peloton dans lequel Michal Kwiatkowski et Peter Sagan ont été très attentistes, restant bien au chaud. Nibali a réussi à résister aux retours des sprinters, gardant quelques hectomètres d’avance pour triompher sur la Via Roma devant Caleb Ewan qui est venu mourir dans la roue de l’italien et le français Arnaud Démare, déjà vainqueur en 2016.
Le successeur tant attendu
Douze ans. Il aura fallu douze ans à l’Italie pour trouver le digne successeur de Filippo Pozzato, dernier italien à s’être imposé sur la Classicissima alors que quatre transalpins s’y étaient imposés en cinq éditions (2002, 2003, 2005 et 2006). Depuis, la période de disette était lourde à porter. Il faut dire que les italiens ont un certain rapport avec cette course et pas seulement parce qu’elle est italienne. Les hommes du pays ont construit la réputation de cette course rapidement appelée « Classicissima » par la presse italienne qui s’éprenait du duel entre Gino Bartali et Fausto Coppi, éternel duel cycliste gravé à jamais dans l’histoire de ce sport. Si un français, Lucien Petit-Breton, a remporté la première édition en 1907 avant que d’autres vainqueurs français du Tour de France ne le suivent (Gustave Garrigou en 1911 et Henri Pélissier en 1912), les italiens ont rapidement pris le contrôle des opérations, passionnés par les six victoires de Cotante Girardengo entre 1918 et 1928. L’après-guerre est néanmoins marqué par une européanisation du palmarès. Eddy Merckx notamment règne sur la course à sept reprises, recordman du nombre de victoires, record qui ne risque pas d’être égalé pendant un long moment. Néanmoins les italiens ont toujours été présents et n’avaient plus connu pareille disette depuis la victoire de Michele Dancelli en 1970 qui avait mis fin à dix-sept ans sans succès sur la Primavera.
Vincenzo Nibali, un successeur logique ?
Un vainqueur du Tour de France victorieux sur Milan-San Remo, c’est rare de nos jours. Si les maillots jaunes avaient déjà eu l’habitude de lever les bras sur le premier Monument de l’année, les sprinters avaient depuis pris le pouvoir. Vincenzo Nibali est donc le premier vainqueur de la Grande Boucle à remporter la Primavera depuis Laurent Fignon, double lauréat en 1988 et 1989, année où il remporta également le Giro et où il termina deuxième du Tour pour huit petites secondes restées dans l’histoire derrière Greg LeMond. C’est donc un véritable exploit que vient de réaliser Nibali. Mais est-ce surprenant ? Le Poggio légendaire dans le final et sa descente technique, un exercice dans lequel Nibali est peut-être le meilleur dans le peloton actuel, il n’en faut pas plus pour permettre au leader de la Bahrain-Merida pour tirer son épingle du jeu. Philippe Gilbert a déclaré après la course que l’italien « était le coureur le plus complet de [sa] génération ». Il est vrai qu’en plus d’être dans le cercle très fermé des vainqueurs des trois Grands Tours, Nibali est lauréat de deux Monuments différents désormais, le Tour de Lombardie par deux fois et donc Milan-San Remo. Trois Grands Tours et deux Monuments…
Il est le quatrième coureur seulement à réaliser pareille performance après Felice Gimondi, Eddy Merckx et Bernard Hinault, sachant que Merckx a gagné les Cinq. Quand on connaît la qualité de Nibali sur les pavés, on peut se prêter à croire que le Requin de Messine sera le quatrième coureur à empocher les cinq Monuments. En attendant, le plus probable reste sans doute une échappée grandiose à l’ancienne sous une pluie battante lors de Liège-Bastogne-Liège. Et même une chose aussi hors du commun, Nibali en est capable.
Crédits photo à la Une: Andrea Pellegrini