Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais Bruno Armirail est bien connu dans le monde du cyclisme. Lui qui évolue depuis 2 ans dans l’équipe continentale de l’Armée de Terre, et qui possède notamment un titre de champion de France espoirs de contre-la-montre acquis en 2014, a accepté de répondre à nos questions. Le Pyrénéen de 21 ans livre une interview en toute simplicité, en exclusivité pour Au Stade – INTERVIEW
Au Stade: Pour commencer l’interview, qui es-tu Bruno Armirail ?
Bruno Armirail: Je suis un coureur cycliste professionnel de 21 ans évoluant à l’EC Armée de Terre qui vit dans le Sud de la France, vers Béziers plus précisément.
Pourquoi apprécies-tu l’épreuve de contre-la-montre ?
J’adore le chrono car, contrairement à la course en ligne, c’est le plus fort qui gagne. Chaque coureur court contre soi-même. En fait, c’est le mec qui se fait le plus mal qui gagne, tandis qu’en course en ligne, si un sprinteur gagne, il n’aura peu être rien fait de toute la course, donc ça n’a pas un grand intérêt contrairement au contre-la-montre où tu es obligé de pousser sur les pédales pour gagner ! De plus, c’est dans les jambes et surtout dans la tête qu’un contre-la-montre se gagne. Personnellement, je ne suis pas très à l’aise en course en ligne pour la simple et bonne raison que je n’aime pas trop frotter, et puis je ne suis pas un très grand sprinteur non plus, du coup c’est pas facile pour moi ! (rires)
Pourtant, toi qui es originaire des Pyrénées, tu devrais plutôt avoir des caractéristiques de grimpeur…
Oui c’est vrai. Avant, j’étais très bon grimpeur. Mais au fil des années, je me suis plus focalisé sur le contre-la-montre, du coup j’ai perdu petit à petit mes capacités en montagne. Je pense que j’ai trop préparé mes chronos en fait. Après ma spécialisation dans l’épreuve du contre-la-montre, je ne passais plus une bosse… Pourtant, je suis taillé (physiquement, ndlr) comme un grimpeur, alors que maintenant j’ai plus des caractéristiques techniques de sprinteur. Mais j’espère bien retravailler en montagne pour regagner de la capacité sur les bosses tout en étant toujours spécialisé en contre-la-montre ! Mais c’est vrai que c’est très compliqué de concilier les deux…
En 2014, après une très belle saison 2013 ponctuée d’une deuxième place aux championnats de France de contre-la-montre, tu es approché par de multiples écuries. Finalement, tu choisiras le challenge de l’EC Armée de Terre. Pourquoi ce choix ?
Au départ, je devais partir dans une équipe à côté de chez moi qui évoluait en DN1 (le plus haut niveau amateur, ndlr). Malheureusement, elle n’a pas pu repartir à ce niveau-là en 2014 à cause de raisons financières. Par conséquent, au dernier moment, j’ai choisi l’EC Armée de Terre. Au début, ce sont eux qui m’ont contacté. Ils étaient vraiment très intéressés par mon profil. Le directeur sportif était même venu chez moi. En plus, l’EC Armée de Terre possédait une très bonne équipe qui avait réalisé une très bonne saison 2013. Quand une des meilleures équipe amateur est intéressée par toi, c’est très difficile de refuser !
Cette année, ton équipe est passée du statut d’équipe amateur à professionnel, ça change quoi concrètement pour toi ?
Ce qui change, c’est surtout l’accès aux courses. En amateur, tu as accès à de petites courses pro, tandis qu’en professionnel, tu peux participer à toutes les courses de la ligue amateur, ainsi qu’aux petites et grandes courses pro*.
C’est quoi la vie quotidienne d’un cycliste professionnel ?
L’entrainement, l’entrainement, et encore l’entrainement ! (rires) Plus sérieusement, la vie quotidienne d’un cycliste professionnel est rythmée avant tout par l’entrainement 6 jours/7. S’entrainer 6j/7 c’est le minimum, car il faut aussi s’étirer tous les soirs si on veut progresser. D’autres facteurs viennent s’ajouter comme la diététique qui est primordiale, mais aussi le repos et la récupération. Il faut vraiment mettre toutes les chances de notre côté si on veut réussir. Le cycliste qui ne veut pas faire ça, il n’ira pas très loin.
On parle souvent de dopage dans le cyclisme. Est-ce que ta vie de tous les jours est impactée par les contrôles antidopage ?
Oui. J’ai quand même eu pas mal de contrôles antidopage en 2014, environ 13 je dirais. Cette année beaucoup moins à cause de ma blessure (voir par ailleurs, ndlr), peu être 2 ou 3. Il y a quand même énormément de contrôles dans le milieu du cyclisme professionnel et amateur. C’est sans aucun doute le sport le plus contrôlé. On généralise souvent le dopage à tous les coureurs, à notre plus grand regret…
Avec le recul que tu as en tant que cycliste pro, comment analyses-tu les performances impressionnantes de Chris Froome sur le Tour de France 2015 ?
Personnellement, je n’ai jamais pu voir ses données individuelles de mes propres yeux. Après, quant aux données volées que j’ai pu regarder, il aurait fait à l’arrivée de la Pierre-Saint-Martin, 450 watts de moyenne, soit une performance largement faisable pour des coureurs de ce niveau. Les données et statistiques qui ont été révélées par les médias sont loin d’être extraordinaire à mon avis.
Tu évolues dans l’équipe cycliste de l’Armée de Terre, tu as donc le statut de militaire ?
Oui tout à fait. On fait quelques stages dans l’année avec des militaires de métier. Mais pendant qu’eux sont de véritables militaires, nous on est des cyclistes à part entière tout au long de l’année. En rentrant début 2014 dans les rangs de l’Armée de Terre, j’ai participé avec 3 autres coureurs, à une formation militaire de 3 mois avec d’autres militaires. On a tiré au FAMAS, dormis dehors, réalisé des parcours et des tests physiques. Parallèlement, j’occupe actuellement le grade de première classe. Du coup, je suis un peu au bas de l’échelle ! (rires) Après, j’ai toujours la possibilité de monter en grade par le biais de formations etc.
En janvier 2015, tu as été violemment percuté par une voiture lors d’un entrainement. Bilan, triple fracture de la rotule. Ça été dur pour toi de remonter sur un vélo, vers le mois de mai ?
Oui, cela a été très dur physiquement pour moi. Rester pendant 5 mois et demi orphelin de sa passion, c’est très très long… Surtout que je ne pouvais pas bouger, je sortais pas beaucoup. Le plus dur pour moi, c’était de voir les autres coureurs de l’équipe qui réalisaient des stages, couraient ensemble, faisaient des bons résultats etc. Ça me faisait vraiment chier de ne pas être avec eux. A partir de la mi-mai, quand je suis remonté sur le vélo, ça allait mieux pour moi. J’ai repris la compétition quelques mois plus tard, vers la fin-juin, peu être trop tôt d’ailleurs, mais ça me démangeait tellement…
Est-ce qu’on peut affirmer que cette chute a gâché ta saison ?
Totalement. On peut même dire ma saison 2015, peu être ma saison 2016, voire même ma carrière. C’est encore un peu flou. Je repars à zéro pendant que les autres progressent. Par exemple, mes coéquipiers ont déjà réalisé une saison professionnelle, ils ont donc pris des muscles, de la force, pendant que moi j’ai perdu beaucoup plus avec mon accident. Résultats des comptes: eux ont progressé, moi j’ai régressé… En plus je commence à prendre de l’âge, alors que les recruteurs des grosses écuries mondiales recrutent vers 23-25 ans. Pour moi qui aie de l’ambition et qui veut accéder à une équipe World Tour pour participer à de grandes courses, c’est toujours dérangeant.
Lors des championnats de France de contre-la-montre qui se déroulaient en août, tu défendais ton titre en affirmant que « tu ne vas pas là-bas pour faire un TOP 15 ». Résultat final : une 10ème place. Une grosse déception ?
Oui j’ai été très déçu même si je n’allais pas forcément là-bas pour faire un résultat après ma blessure. Après, quand j’ai vu les résultats, pour ce qui m’est arrivé, j’ai trouvé que je n’avais pas pris trop de temps. Et puis quand j’ai vu la puissance que j’ai pu développer ce jour-là, j’ai été quand même content de moi. Au final, ça aurait pu être mieux, mais encore plus pire à l’arrivée. En général, je suis quelqu’un qui place la barre très haute en fait.
Tu as commencé le cyclisme sur un VTT. En 2013, tu as délaissé cette catégorie au profit du cyclisme sur route. Avec le recul, tu préfères quelle discipline ?
J’apprécie les deux disciplines. Le VTT est très conviviale et très technique, pendant que le cyclisme sur route te permet de gagner ta vie car, pour gagner sa vie en faisant du VTT, il faut vraiment être le meilleur des meilleurs, comme Julien Absalon par exemple (13 fois champion de France et quintuple champion du monde de VTT, ndlr). La route est plus accessible, d’où mon choix de carrière pour passer professionnel. Mais je pratique toujours le VTT, surtout en hiver pour travailler le rythme et l’intensité.
Tu prends plus de plaisir sur un VTT ou sur un vélo de route ?
Quand je roule sur route et quand il fait beau et qu’il y a de beaux paysages, c’est toujours très agréable. J’aime beaucoup les deux disciplines qui sont quand même très différentes.
Le 22 octobre dernier, tu racontais à nos confrères de DirectVelo.com que tu étais très déçu de ta 17e place au Chrono des Nations Espoirs à 4’46 » du vainqueur. Qu’est-ce qui n’avait pas fonctionné ce jour-là ?
J’étais très fatigué ce jour-là. Avant cette course, je suis allé deux semaines en Corée du Sud pour participer aux jeux mondiaux militaires (les J.O. version militaire, ndlr), je suis rentré en France le lundi, et je n’ai récupéré mes vélos que le vendredi suivant (2 jours avant la course, ndlr). Avec le décalage horaire, la fatigue et 6 jours sans rouler, il était très difficile pour moi d’aller chercher un résultat.
Où en es-tu aujourd’hui physiquement et moralement parlant ?
Moralement ça va, physiquement je ne suis vraiment pas au top. J’ai encore beaucoup de travail et de musculation à faire. Il faut du temps pour récupérer d’une telle blessure.
C’est quoi le programme pour ta fin de saison ?
Ma saison pour moi est terminée. J’ai fait 3 semaines de coupure et j’ai repris l’entrainement vers début novembre pour préparer au mieux la saison prochaine qui débutera fin janvier début février pour moi et mon équipe, si tout se passe bien ! (rires)
S’il fallait retenir un point positif cette saison, tu choisirais lequel ?
Difficile de choisir, il y en a pas beaucoup ! (rires) Le point positif est que j’ai pu reprendre le vélo et la compétition. Mon entourage m’a dit que j’avais passé un cap moralement avec ma blessure, ce qui est sans doute vrai, mais ce ne m’a pas empêché de descendre d’un cap physiquement…
Quels sont tes objectifs pour la saison 2016 ?
Les championnats de France espoirs pour reprendre mon titre. Après, je ne sais pas trop. On en parlera avec l’équipe mais j’espère bien faire des belles courses professionnelles comme l’Étoile de Bessèges début février, les 4 jours de Dunkerque (mai 2016, ndlr), la Route du Sud (Juin 2016, ndlr) où Alberto Contador a gagné en 2015, ou encore le Tour du Portugal qu’on a prévu de faire avec l’équipe.
Toujours dans les rangs de l’Armée de Terre en 2016, soldat première classe ?
Affirmatif ! (rires)
Propos recueillis par Nicolas TANNER – @Nicolas_Tanner
*Dans le monde, il y a 3 niveaux professionnels; les équipes World Tour, en d’autres mots le gratin du gratin (Ag2r la Mondiale, FDJ…), les équipes continentales pro (ex : Europcar ou Cofidis), et puis les équipes continentales (comme l’EC Armée de Terre de Bruno Armirail par exemple). Seules les équipes World Tour et quelques équipes continentales pro ont accès aux plus grandes courses du monde (Tour de France, Giro, Vuelta etc.)
Crédits photo à la une: Mathilde L’Azou